Un extrait de Cueillez-moi Jolis Messieurs, paru en 2011 chez Gallimard-Continents Noirs… OĂč Juliette, Ă©crivaine sans domicile fixe et mĂšre cĂ©libataire, s’embringue dans les Etats GĂ©nĂ©raux de la SociĂ©tĂ©…
Le jour bùille encore, comme la réceptionniste de la mairie.
â Je viens, madame, rĂ©clamer un logement dĂ©cent. C’est mon droit.
â On prend les inscriptions Ă partir de quatorze heures, mademoiselle.
â Je viens de la part de la ConfrĂ©rie des Gens du Livre. C’est mon droit.
â Veuillez Ă©teindre votre cigarette. C’est la loi.
Neuf heures Ă peine. Pourtant, une bande de sauvages assoiffĂ©s de logement sont assis dans le hall oĂč ils semblent attendre quatorze heures. La rĂ©ceptionniste me briefe. Chaque jour, le premier arrivĂ© Ă©crit son nom sur une feuille blanche et s’assied dans la salle d’attente, sa liste en main. Les suivants s’inscrivent sur cette liste autogĂ©rĂ©e, qui ne doit pas comporter plus de quinze personnes. Il est neuf heures Ă peine, et ils sont dĂ©jĂ quatorze.
â Si vous prĂ©fĂ©rez aller pique-niquer, marmotte la secrĂ©taire, c’est Ă vous de voir.
C’est tout vu. Par dĂ©cret de la liste manuscrite au crayon papier, je suis intĂ©grĂ©e au club des quinze, en derniĂšre position.
Membres de la mĂȘme sociĂ©tĂ©, siĂ©geant dans le hall d’entrĂ©e de la mairie, nous nous jetons des regards de connivence, rassemblĂ©s par notre ennemi commun, le retardataire. Notre constitution, la liste posĂ©e sur une table basse sous notre surveillance collective, nous protĂšge de lui. Le premier ennemi arrive Ă dix heures cinq, et tente d’adhĂ©rer au club des quinze, en inscrivant son nom sous le mien. Le numĂ©ro six lui arrache la liste des mains et je l’informe gentiment.
â Il n’est pas question d’Ă©largissement.
AlliĂ©s contre nos ennemis communs, nous n’en sommes pas moins concurrents. Nous nous adressons des sourires aimables contrecarrĂ©s par nos regards dĂ©fiants. Le HLM que tu gagnes est perdu pour moi. Durant les cinq heures que dure notre garde rapprochĂ©e, nous puisons tous Ă la source des apparences, et des bribes de conversations volĂ©es, pour nous faire une idĂ©e fausse, mais trĂšs prĂ©cise, du profil des quatorze autres membres de la communautĂ©.
Quatorze heures sonnent.
Le numĂ©ro un se lĂšve et, solennel, remet notre liste Ă la rĂ©ceptionniste, qui nous distribue des tickets selon l’ordre d’arrivĂ©e. Monsieur l’adjoint ne reçoit qu’Ă partir de dix-sept heures. Je suis le numĂ©ro quinze. J’ai largement le temps de sortir causer pollution avec les pigeons. Surtout pas. Mieux vaux visser mon cul Ă ce banc mĂ©tallique jusqu’Ă dix-sept heures, on ne sait jamais.
Trois heures d’espĂ©rance.
Dix-sept heures trente, on reçoit le numéro deux. Je suis toujours le numéro quinze. Je passerai donc à trois heures du matin ?
Dix-neuf heures.
Les onze derniers candidats ont Ă©tĂ© expĂ©diĂ©s en cinq minutes chacun, sauf le numĂ©ro treize, qui a tenu huit minutes. Ejections prĂ©coces. Ejaculations prĂ©maturĂ©es. Enfin, j’entre dans le petit bureau de l’adjoint et prends place sur une chaise Ă©jectable. Et je le vois. Qu’est-ce que ce hippie Ă peine pubĂšre fabrique dans un endroit pareil ? C’est ça, mon adjoint? Je pose mon dossier sous son nez retroussĂ© et soudain, je me souviens Ă voix haute.
â Laetitia ! Il est sept heures et la garderie ferme Ă six!
Un tableau morbide naßt de mon effroi, mon bébé noyé dans ses larmes, mourant de faim au bord de la route.
â Excusez-moi jeune homme, mais je dois appeler les pompiers.
Je m’extirpe du bureau minuscule et mes forces m’abandonnent, je m’effondre sur le sol, sans tĂ©moins car je suis la derniĂšre. L’adjoint reste cloĂźtrĂ© dans son bureau.
Mon hĂ©misphĂšre gauche cherche le numĂ©ro des pompiers. C’est un numĂ©ro Ă deux chiffres, j’en suis convaincue. Soyons mĂ©thodique et logique. Il suffit d’appeler tous les nombres entiers compris entre dix et dix-neuf.
… Et depuis, faute de reddition de comptes, l’Ă©crivaine a rĂ©cupĂ©rĂ© ses droits sur Cueillez-moi… qui connaĂźtra prochainement de nouvelles aventures ! A suivre.
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