« La plume ne dit jamais trop, le dessin non plus. Bessora et Barroux signent un rĂ©cit traversĂ© par lâerrance et la dignitĂ©
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Rien de moins, rien de plus quâun morceau de vie, celle dâun homme qui sâappelle Alpha, qui est Ă©bĂ©niste Ă Abidjan. Il sâest endettĂ© pour permettre Ă sa femme Patience et Ă son fils Badian de partir pour Paris, Ă la gare du Nord, oĂč une sĆur travaille dans un salon de coiffure. Eux partis, Alpha nâaura de cesse de les rejoindre. Rien de moins, rien de plus que ce projet, humain entre tous, celui dâavancer, dâaller de lâavant, de faire des rĂȘves pour sa famille. Parce que rester nâest tout simplement pas possible, sauf Ă faire du surplace, Ă mourir Ă petit feu. Et câest ce rĂ©cit-lĂ que Bessora (Ă la plume) et Barroux (au dessin) racontent dans Alpha, Abidjan-Gare du Nord .
En suivant Alpha dans son pĂ©riple, serrĂ© Ă lâarriĂšre dâune Lada, puis au volant dâun van Ă travers le dĂ©sert, puis marchant, marchant, puis dans un camp de rĂ©fugiĂ©s et un autre, en lâĂ©coutant raconter, Ă la premiĂšre personne, son voyage, sa descente aux enfers de lâimmigration clandestine, le lecteur voit, ressent, Ă©prouve. AprĂšs avoir traversĂ© en lecture avec Alpha, dâAbidjan Ă Paris, on ne peut plus regarder les nouvelles de clandestins Ă©chouĂ©s sur les rives de lâEurope de la mĂȘme façon.
Mais Bessora, lâauteure, nâa pas Ă©crit dans ce but et câest la force du livre. Bessora a dâabord trouvĂ© la voix dâAlpha. Pas de pathos, ni dâapitoiement. Alpha parle avec ses colĂšres, son humour, sa force, ses fatigues, son amour pour sa femme et son fils, sa dignitĂ© dâhomme qui doit venir en aide aux autres candidats Ă lâexil comme lui, une femme malade, un petit garçon de 6 ans, Augustin. La force du livre, câest Alpha, dont on se sent la sĆur ou le frĂšre.
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Barroux, le dessinateur, fait peau contre peau avec le rĂ©cit dâAlpha, amenant quand il le faut les contrechamps nĂ©cessaires: les villes, le dĂ©sert, les regards qui flottent, les corps qui se dĂ©sagrĂšgent, la nuit qui absorbe les clandestins, qui les laisse face Ă leurs cauchemars, cette mort qui rĂŽde en permanence. Personne ne dort dans cette nuit-lĂ , pas mĂȘme Augustin, le petit garçon, les yeux comme de petites billes noires dans un ciel colossal.
Et puis il y a le rythme du rĂ©cit auquel Bessora et Barroux se tiennent, main dans la main. Ce rythme qui touche parce quâil est lent, incertain, puis dâun coup rapide, ailĂ©, avant de revenir Ă lâimmobilitĂ©. Câest le rythme de ceux qui doivent confier leur vie Ă la dĂ©cision des autres: passeurs, douaniers, fonctionnaires. Face Ă ces murs, Alpha met son Ă©nergie et son intelligence en action. Quand il prend une dĂ©cision, quand il croit, un instant, Ă sa chance dâarriver Ă rejoindre sa femme et son fils, câest pour mieux buter, quelques heures plus tard, sur un nouveau barrage.
Le chagrin est le compagnon de route de chacun et chacune mais tous savent le tenir Ă distance. Il faut bien avancer. Bessora et Barroux, dans leurs textes et leurs dessins, ont cette mĂȘme pudeur. Ils laissent au lecteur le soin de dilater lâĂ©motion, de la faire ricocher Ă leur empathie, Ă leur expĂ©rience du dĂ©sarroi.
Les compagnons dâinfortune dâAlpha demeurent aussi en mĂ©moire: Abebi, la femme seule qui se prostitue pour survivre et dont la santĂ© dĂ©clinera, au fur et Ă mesure du voyage; Antoine, le Camerounais, qui a lâEspagne en tĂȘte pour entrer au FC Barcelone. Tous avancent, sâarrĂȘtent, avancent, dĂ©clinent, disparaissent sans laisser de trace puis rĂ©apparaissent au dĂ©tour dâune allĂ©e, dans un camp.
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Bessora, lâauteure, est nĂ©e Ă Bruxelles dâune mĂšre suisse et dâun pĂšre gabonais. AprĂšs des hautes Ă©tudes commerciales Ă Paris, elle a travaillĂ© dans la finance internationale Ă GenĂšve. RomanciĂšre, elle a signĂ© Les Taches dâencre au Serpent Ă plumes et Cueillez-moi, jolis messieurs chez Gallimard. Barroux est nĂ© Ă Paris et a passĂ© son enfance en Afrique du Nord. AprĂšs un passage par la publicitĂ©, il sâinstalle aux Etats-Unis et au Canada, oĂč il mĂšne une carriĂšre de dessinateur de presse et dâĂ©dition jeunesse. En langue française, on lui doit notamment les illustrations deKako le terrible Ă La Joie de lire. Le talent conjuguĂ© de ces deux artistes fait dâAlpha un des livres forts de cet automne. »
Un beau succĂšs de presse, amplement mĂ©ritĂ©, pour ce livre qui est en lui-mĂȘme un beau succĂšs artistique !
Un beau succĂšs de presse, amplement mĂ©ritĂ©, pour ce livre qui est en lui-mĂȘme un beau succĂšs artistique !