A l’abri de sa fenêtre normande, monsieur Bisiou s’étonnait d’une averse automnale. « Ainsi donc, publiait-il un peu plus tard sur Facebook, il pleut ? Je croyais que ça ne se faisait plus du tout, ce genre de choses, en automne »
Cher monsieur Bisiou, non seulement cela se fait en automne, en hiver, au printemps, en été, mais cela se fait aussi en Paris. Car au moment où vous publiiez ce statut normand sur Facebook, j’étais, moi, menacée par la pluie, alors que je prenais le tramway, à l’envers.
Après un rendez-vous en extérieur, je voulais gagner la station Porte de Versailles. Or les nuages normands qui semblent virtuellement vous réjouir, monsieur Bisiou, narguaient aussi la région île de France, mais sans vouloir se déchirer, ni se répandre.
Résolue à devancer ces eaux éventuelles, je me dirigeais d’un pas leste vers la station Issy-Val-de Seine, où passe en principe la ligne n°2 du tramway. Marchant vers cet abri, je relisais ma troisième version du chapitre final d’un roman à venir : marcher sans se relire est-une perte de temps pour un écrivain?
Sans donc lever le nez, je m’engouffrai dans le premier train venu, et pris place dans un siègeconfortable, pour m’enfoncer dans ma lecture.
Mon cerveau Ă©tait programmĂ© pour me faire descendre au terminus, Ă quatre stations d’ici, soit dans Ă peu près huit minutes. Je ne pouvais pas louper ma station, d’autant qu’il allait pleuvoir. Et surveiller l’heure et le dĂ©filement des stations est une perte de temps, pour un Ă©crivain…
ArrivĂ©e comme prĂ©vu au terminus de ma ligne, je quittai ma rame sans cesser ma relecture, je pris Ă gauche comme mes jambes le faisaient d’habitude, et, sans l’assistance d’aucun oeil, ces jambes tournèrent Ă gauche, car elles savaient, mes jambes, qu’elles auraient Ă traverser la route dans un pas et demi.
Seulement voilĂ . Un pas et demi plus loin, point de route. Je panique.
Mon autisme me quitte, je lève les yeux sur le réél : non seulement Emmanuel Macron et Ali Bongo sont encore prĂ©sidents, non seulement monsieur Trump n’est toujours pas destituĂ©, non seulement on crève toujours de faim sur le noir continent, mais, pire que toutes ces rĂ©alitĂ©s rĂ©unies, j’ai pris le tramway Ă l’envers : je viens, oui, de dĂ©barquer au mauvais terminus.
Au-dessus de ma tête, les nuages normands ricanent, prêts à se déchirer, alors qu’en principe, monsieur Bisiou, je devrais être rentrée chez moi depuis trois bons quarts d’heure et, comme vous, me gausser de la pluie qui tombe sur autrui.
Frissonnante, les os glacĂ©s, je refais le voyage ferroviaire en sens inverse, c’est-Ă -dire Ă l’endroit. Bordel de merde ! J’ai oubliĂ© mon fucking parapluie ! Tout sauf une averse sur ma tĂŞte ! J’aime autant une partouze avec DSK, Matzneff ou Polanski !Â
Station Suzanne Lenglen. Le ciel se déchaîne. Ainsi… il pleut !
Je quitte le tramway à Porte de Versailles, la pluie redouble, rafales de vents, coupantes. Je suis lacérée.
Et à peine arrivée chez moi, monsieur Bisiou, je découvre votre message ? Après tout, cela ne m’étonne guère vous. Vous êtes bien un éditeur de littérature coréanophone, va… Et, outre vos éditions ubuesques, vous nous avez affligés de vos velléités d’écrivain !
Oui, monsieur Bisiou, la pluie m’a enculée. Mais n’est pas écrivain humide qui veut. Et comme le dit très justement mon amie Cyr@no, il y a du panache à enculer et de l’honneur à se faire mettre.
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