
Un extrait de Zoonomia pour fêter le joli mois de mai, où Johann, qui se veut explorateur, se lance dans une première aventure, amoureuse, interdite.
La poésie de son souffle, ce soir-là, quand elle déposa un repas dans ta chambre, parce que tu étais migraineux.
Ta belle-mère était si obligeante, comment ne pas interpréter sa délicatesse : une idylle, rêvais-tu, se tramait. Peut-être se dénouerait-elle dans cette dernière nuit ?
C’était l’été, le soir tomberait tard.
Retirée dans sa chambre, en chemise de nuit, Juliette ouvrait ses fenêtres pour jeter des regards perdus vers le ciel. Un vent léger soufflait dans ses cheveux défaits.
Allait-elle oser ?
Les plumes de cygneaux voletant à ses pantoufles, elle alla vers la porte de sa chambre pour l’ouvrir. Un léger couinement te signala qu’elle s’entrebâillait. Si tu avais le courage de te lever, de quitter ta chambre d’ami, de faire crisser le plancher du corridor, de marcher jusqu’à la chambre de Juliette, tu trouverais sa porte à peine ouverte, mais suffisamment écartée pour la passer.
Tu n’osas pas quitter ton lit.
Tes prunelles s’affolaient en regardant le plafond, tu étais le moucheron qui voyait descendre sur lui les crochets d’une créature mi-chatte, mi-araignée. Tu étais affriolé, tu voulais bien qu’elle te mange, une bonne fois, voilà. Ce vœu de dévoration, tu le jetais au lustre du plafond comme une incantation. Mais le luminaire ne pouvait t’exaucer. Et Juliette n’arrivait pas à venir te chercher.
Sur le rebord de sa fenêtre ouverte, narines frétillantes elle attendait. La balle était dans ton camp. Il fallait prendre l’initiative, être un homme, quoi, même puceau. Dans les rayons serrés de la toile, face à la charaignée, le moucheron devait muer, se métamorphoser en prédateur.
Car tu serais explorateur.
Pas possible, dans ces conditions, de se laisser intimider. Qui veut tuer un gorille doit dompter la charaignée.
Dans sa chambre, Juliette alluma ses bougies pour devancer la nuit, et s’emmitoufla dans ses draps. Elle ouvrit son livre de chevet à la page quarante-trois. Pendant environ un quart d’heure, elle resta fixée sur cette page du Comte de Monte-Cristo. Les mots qui défilaient sous ses yeux étaient troubles, elle n’arrivait pas à se concentrer sur son livre : toi qui avais l’odeur du mari, cet emblème floral et narcissique. Tu lui remuais le corps et l’esprit. Quatre fois, elle s’obstina à relire la page quarante-trois du chef-d’œuvre de Dumas, et ne comprenait pas pourquoi elle ne comprenait rien, elle qui avait compris La femme de trente ans du premier coup. Et l’on sait, se dit-elle, que Balzac est plus difficile que Dumas.
Mais il te restait suffisamment d’inconscience pour aller à ta cible.
Chasseur, toi, de gorilles et de charaignée.
Laisser un commentaire