Je discutais le bout de gras devant la porte d’Alice, ma voisine de palier : Alors, ton mari, toujours alcoolique ?
Sais pas, quatre ans que je l’ai pas vu. Au temps pour moi. Moi, c’est mon chat qui fait des siennes. Il ne veut plus entendre parler de la pâtée de chez ED l’épicier. Essaye les croquettes de chez Lidl. Mon cochon d’Inde les adore.
– Est-ce que tu as entendu, Alice, ce raffut l’autre soir ?
– C’était pas le soir, c’était le matin. 04h21.
– Ces hurlements, Alice… J’ai cru que quelqu’un s’était arraché le bras à cause de l’ascenseur.
– Ça finira bien par arriver, l’est toujours en panne. Moi, je ne prends plus que l’escalier.
– Avec tout ce qui s’y passe ? Mais le boucan de l’autre soir, Alice, c’était la foldingue du huitième. Cette fois, elle s’est perdue dans l’escalier. En pyjama elle était.
– On ne devrait pas prendre l’escalier en dehors des heures de bureau.

Nous parlions ainsi dans le hall de l’immeuble de la vie comme elle va quand, soudain, regardant Alice un peu mieux, je lui trouvai le visage rouge :
– Tu es un peu rouge, Alice ? Ca va ?
A mesure que je m’inquiétais pour elle, je sentais une chaleur sournoise m’envahir. Alice était rouge, et c’était moi qui avais chaud. Elle me certifiait qu’elle allait bien, mais j’avais de plus en plus chaud… Je dus finalement retirer ma doudoune et, comme Alice était toujours rouge, je jetai ma doudoune sur le palier. Alice était toujours rouge. Je commençai à suer, à voir des mouches me voleter à la face. Je m’assis sur le carrelage malprope du palier.
– Qu’est-ce qui t’arrive ? s’inquiéta Alice debout à sa porte.
D’une voix d’outre tombe, je lui répondis qu’elle était très rouge.
– Est-ce que tu veux boire quelque chose ? me demanda encore Alice.
J’avais envie de vomir. Je me justifiai :
– Qu’est-ce que tu peux être rouge, Alice ! Tu dois être surmenée. On en est tous là, hein ! Et Macron qui remonte dans les sondages… Franchement, ai pas envie…
– De l’eau, t’en veux pas ?
– Oh non, Alice, tu es moins rouge. Mais qu’est-ce que tu peux être floue.
Ma vision s’étrécissait. Bientôt, je n’y vis plus goutte et n’entendis plus que l’écho lointain d’une voix. Celle d’Alice ?

Bon Dieu… Je n’étais quand même pas en train de perdre connaissance !
Résolue à écarter cette affreuse éventualité, je me laissai glisser sur le carrelage, jusqu’à me trouver en position allongée. Je levai les jambes. Dans cette posture grotesque d’insecte renversé, je ne m’évanouirais pas. Il ne m’arriverait pas ce que Juliette avait vécu page 230 de « Cueillez-moi Jolis Messieurs ».
Il faut se méfier de ce qu’on écrit. Combien d’écrivains sont-ils morts dans les conditions atroces qu’ils ont inventées ? Dieu m’en garde : quand j’écris la mort de quelqu’un, je fais en sorte que cet individu n’ait rien à voir avec moi.
Quelques secondes à me rafraîchir le dos sur le sol et je retrouvai mes esprits, assez pour rentrer chez moi, à l’autre bout du couloir.
Je n’avais plus qu’à m’allonger pour me remettre. Couchée sur ma couette, je m’interrogeai : m’étais-je déjà risqué, en sus du malaise de Juliette, à écrire une mort tragique que j’aurais oubliée. Avais-je déjà bricolé une intrigue divinatoire où, par exemple, on se rompait l’anévrisme ? Horrifiée, je me souvins de Christian Belhomme de Franqueville. Dans « Cyr@no», il avait eu un AVC. Et si c’était chez moi plus tragique que chez Christian, qui avait survécu ?
Fallait-il appeler le SAMU ? Non, je serais tombée sur une salope qui m’aurait achevée.

Je me suis endormie.
Et, par un phénomène tout à fait extraordinaire, le lendemain matin je me suis réveillée.
A midi, j’étais toujours en vie.
Mais ce mal de cou… les prémices d’une méningite fatale ?
Fallait-il appeler le SAMU ?
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