Coucou Bessora, c’est moi Afdas. Je t’invite à venir fêter mes 45 ans. Mon anniversaire aura lieu le 28 septembre 2017 à partir de 18h ou 18h45, à l’académie Fratellini. Tu sais, c’est rue des Cheminots à La Plaine Saint-Denis. Merci de confirmer ta venue.
Afdas et moi on se rencontre en 2011, pendant un conseil syndical d’auteurs à lunettes et de compositeurs chevelus. C’est le coup de foudre. Salut, me dit-elle, moi c’est Fonds d’Assurance Formation des Activités Spectacle, Cinéma, Audiovisuels, Loisirs, Publicité, etcetera. Mais tu peux m’appeler Afdas.
Afdas verse dans la formation professionnelle des artistes-auteurs, vous savez, ces inactifs, qui, comme les retraités, indépendants, et autres chômeurs, ne sont pas concernés par l’activité mais payent quand même la CSG. Inactive, au sens macronnien du terme, j’ai commencé à cotiser à la formation professionnelle dès ma rencontre avec Afdas.

Et presque aussitôt je me suis trouvée professionnellement formée. WordPress n’a plus de secrets pour moi, je suis incollable en contrat d’édition, Drama-Drama m’a initiée à l’art ancestral de la dramaturgie, et Photoshop ne m’est plus tout à fait un mystère : j’utilise 5,3% de ses capacités (contre 5,2% des capacités de mon cerveau).
Je confirme donc ma présence à l’anniversaire d’Afdas. Ma journée du 28 septembre est ainsi planifiée : 08h15, lever ; 08h30, thé noir à la pêche ; 08h45, abrutissement social en réseau ; 09h00, relecture du tome 3 du livre 7 selon fiche technique du 21 juillet ; 12h45, finir la quiche aux choux de Bruxelles de la veille ; 14h00, reprise des hostilités livresques ; 16h00, douche au thé vert ; 16h30, détartrage Porte d’Orléans ; 18h45, Académie Fratellini, Afdas a 45 ans.
Enfin, la journée du 28 septembre montre le bout de son nez. Mais elle ne présente pas du tout le visage que je lui ai imaginé (cela arrive aussi avec les bébés). Lever à 10h07. A 22, café nuagé de crème de Gruyère. Pire, ce matin-là, j’oublie de m’abrutir socialement en réseau. Du point de vue de la NSA toute modification de comportement social est suspecte : oubliez de vous connecter sur Facebook, et ils vous soupçonnent de déviance terroriste. Si votre risque dépasse 37% (vous ne vous êtes pas connecté, ET vous n’avez pas pris votre douche à l’heure habituelle), ils vous prescrivent un drone, à titre préventif. Bref, ma journée déraille dangereusement. Drones en alerte.

Inch Allah, je réussis à me trouver Porte d’Orléans à 16h30, mon risque retombe à 32%. J’entre chez le dentiste, une odeur de bouche pourrie mais désinfectée me saute aux narines. Dans la salle d’attente, j’ouvre un livre pour oublier : Leçons de Grec, de la reine Hank Kang. Je me concentre sur les signes qui forment des mots, puis des phrases qui devraient avoir un sens. Mais l’odeur est plus forte, impossible de comprendre ce livre coréen traduit en français à partir du grec…
Le patient qui me précède est enfin libéré, je baisse les yeux pour ne pas voir sa bouche d’où dégouline sans doute un mucus qui aura souillé le fauteuil dentaire. Mais j’aime bien mon dentiste, et il me le rend bien : mon hygiène buccale est irréprochable, c’est pas comme ces malheureux qui se brossent les dents une fois par an. En général, ils ne ressemblent pas du tout, mais pas du tout à des ploucs. Ils ressemblent à des pilotes de drone. Ou aux psychothérapeutes de ceux-ci.
Cette fois encore, pas l’ombre d’une carie (j’ai donné dans l’adolescence). Pas le début d’un déchaussement. Pas même le commencement d’un abcès dans la mâchoire. La bouche fraîche et la gencive ensanglantée, je sors détartrée du discret cabinet. Or je m’aperçois qu’il est déjà 18h17. La NSA et mon agenda n’avaient pas prévu ça. J’avais pour instruction d’être à La Plaine St-Denis à 18h45. Or il est impossible de rallier La Plaine St-Denis depuis la porte d’Orléans en 28mn (source : ratp.fr). Je suis donc dans l’impossibilité d’obéir aux ordres de mon agenda. La NSA me menace : sois en retard, et un drone atomisera l’académie Fratellini. Les dommages collatéraux seront importants. Cours, Bessora, cours. Tu as une chance de sauver tous ces gens. Elle s’élève à 2,9%.
Je cours, pour sauver tous ces gens. J’endurerai le métro n°4, le RER B, le RER D. Je supporterai la proximité de ces voyageurs qui ne se lavent les dents qu’une fois par an.
Supporter ça, vraiment ?
Arriver en retard à l’Académie Fratellini ?
Non. Faire diversion. Sachant que les drones sont myopes comme des taupes, trouver un autre lieu qu’ils pourraient confondre avec l’académie Fratellini. Y arriver à l’heure. Et le risque retombera à 32%. Plus de drone…
Ce sera le stade Charlety.
18h37, m’y voici. Une petite fantaisie athlétique remplace la forme circacienne promise par Afdas. Elle se joue sur le stade d’honneur. Elle est donnée par des adolescents cariés.
Voilà comment j’ai déjoué les plans de la NSA.
Voilà comment j’ai sauvé Afdas.
Afdas, mon amour. Hiroshima, my love.
La prochaine fois, je déjouerai les plans thermo-nucléaires de Donald sur la littérature coréenne.
Afdas… wazisdas ?