Il est un peu fou (c’est de famille, mais pas que), alors il Ă©crit. De la poĂ©sie, imbitable, mais aussi du roman. Son dernier s’appelle La Dame Rousse, un Game of Thrones bernois, mâtinĂ© de biographie familiale. La famille, c’est les sauvageons, les farouches du grand nord. Ils sont plus fĂ©roces que des Schwitzois.

A l’origine de la saga, l’aĂŻeul du Wildstrubel. C’est un banni de montagne, un sauvageon dont l’Ă©pouse engendra dix-huit enfants. Quatorze seulement survivent. C’est assez pour que, aujourd’hui, le cimetière de la Lenk soit majoritairement peuplĂ© de leurs descendants.
De ces innombrables enfants, le dernier s’appelle Gotlieb. Après sa naissance, sa mère perd la raison. Coupable du naufrage maternel, Gotlieb quitte sa montagne natale pour Ă©migrer loin, très loin, en rĂ©gion vaudoise.
Sur les bords du bleu LĂ©man il se dĂ©couvre des talents dans le fromage. EngagĂ© dans une laiterie, il se fait connaĂ®tre, il sait se faire apprĂ©cier. Pas une photo de lui de lui ne subsiste, mais on le sait, il Ă©tait plus beau qu’un Dieu. Son patron mĂŞme est sĂ©duit, jusqu’Ă en faire son fils de coeur : par succession, il lui donne sa laiterie. Le succès se confirme, le sauvageon s’embourgeoise, il Ă©pouse une Angèle qui accouche trois fois. Le quatrième enfant s’annonce pour le printemps 1918, mais Gotlieb se mobilise pour garder une frontière des ravages de la guerre. Il chope une mauvaise grippe, l’espagnole, la mĂŞme qu’Egon Schiele, ce fichu virus hispanique qui dĂ©cima l’Europe.
Adieu Gotlieb. Bonjour la fosse commune. Retour du bannissement.
VoilĂ l’Angèle muĂ©e en fille-mère, ruine sociale, ruine financière, la honte, celle des rĂ©prouvĂ©s. Gotlieb est effacĂ© des mĂ©moires : la mort, la fosse, la ruine, c’est de sa faute, lĂ . Sa veuve et ses gnards retournent Ă l’Ă©tat de sauvageon, on les regarde de haut Ă la messe, d’autant qu’ils se distinguent par leur beautĂ©. Si c’est pas scandaleux d’ĂŞtre beau quand on est paria.
Le quatrième enfant, mon grand-père, ne se dĂ©pĂŞtrera jamais de sa beautĂ©, et de sa sauvagerie : pour se soigner les dents il utilisait de la colle forte. Et quand sa fille s’est cassĂ© la jambe, ces farouches du Wildstrubel n’ont pas pensĂ© Ă l’envoyer chez le mĂ©decin.
La Dame Rousse, apparition salvatrice ou fatale, traverse les cloisons du temps. Elle relie le mythe familial aux rĂ©prouvĂ©s du moyen-âge, les fĂ©roces bannis relĂ©guĂ©s dans les hautes vallĂ©es…
On les appelait les Farouches. Ils vivaient sur les flancs du Wildstrubel, le massif dont les pentes descendent en rebonds chahutés vers la vallée de la Simme.
Pendant des siècles, dans le Haut Pays bernois, une loi coutumière avait relĂ©guĂ© sur ces pentes arides les criminels qui s’Ă©taient rendus coupables d’un forfait assez grave pour mĂ©riter le bannissement, mais pas infâmant au point qu’ils dussent ĂŞtre punis de mort. S’ils Ă©taient capables d’Ă©chapper aux crocs des loups, ils avaient une chance de survivre.
Nous voilĂ bien loin du chocolat et des lingots d’or…
C’est traduit du Suisse ?
Du schwitzerdütsch, du romanche, du fang wallon et du tessinois lombard, oui, bien entendu. 🙂