En ma qualitĂ© de sage-femme, et malgrĂ© mon sexe masculin, oui, j’anime des cours de prĂ©paration Ă l’accouchement.
Ecoutons Myrtille, ancienne élève venue témoigner du bonheur de pondre.
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— Je m’appelle Myrtille et j’aime les fruits des bois. J’ai accouchĂ© il y a trois jours. Je suis sortie de la maternitĂ© ce matin. C’est un petit garçon. Il s’appelle Sureau. N’ayez pas peur de l’accouchement. Les contractions sont vos amies. Votre pĂ©rinĂ©e aussi : massez-le Ă l’huile de foie de morue. L’huile d’amande douce, ça pue.
Elle s’assied sur son matelas.
Copieusement applaudie.
Myrtille se relève et stoppe la salve d’un geste autoritaire.
— Si vous souffrez le jour de votre accouchement, dites-vous que vous n’ĂŞtes pas le bateau bringuebalĂ© dans la tempĂŞte. Vous ĂŞtes la vague. Une grosse vague. Une Ă©norme vague. Un raz de marĂ©e.
Voile de terreur sur la communauté des femmes enceintes. Quelques inconscientes affichent une sérénité à toute épreuve. Sureau, le fiston de Myrtille, régurgite du lait maternel sur son porte-bébé bleu. Sa mère lui baise le crâne.
— Je me suis allongĂ©e sur le cĂ´tĂ©. Je me sentais comme une vache en travail, sauf que j’avais envie de bonbons pour me concentrer contre les contractions.
En ma qualité de sage-femme, et malgré mon sexe masculin, je proteste :
— Pas contre les contractions, avec les contractions. Vous n’ĂŞtes pas une vache, Myrtille. Votre corps n’est pas une viande. Le corps est sacrĂ©. Les vaches aussi, mais pas ici. Parenthèse refermĂ©e. Continuez.
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— Donc, j’avais envie de bonbons. Mais ils n’avaient que des carottes. Rendez-vous compte j’Ă©tais… je rejoignais… comment dire… quelque chose de sĂ©culaire ; c’est cette impression-lĂ , oui. Je m’oubliais totalement. J’Ă©tais au service du travail qui se faisait, dans l’oubli de moi-mĂŞme, et de l’orange. Et puis soudain, monsieur m’a posĂ© mon bĂ©bĂ© sur le ventre. Il avait de si petits pieds. Sureau, il avait des yeux… Oui, il est venu au monde avec un bout de mĂ©moire. Je garde un excellent souvenir de ce premier accouch…
— Ah oui ? l’interrompt Waura, ma soeur jumelle, enceintĂ©e malgrĂ© elle par son ex-mari.
— Certainement, madame, dit Myrtille.
Waura attaque :
— Merveilleux souvenir, Myrtille ? Alors pourquoi – j’Ă©tais lĂ , j’ai tout vu tout entendu -, Pourquoi « PUTAIN J’AI MAL AU CUL » ? Pourquoi « JE VAIS MOURIIIIR » !!!! Pourquoi ?
Silence atterrĂ© dans l’audience.
Waura insiste :
— Alors, Myrtille ? Répondez ! Je vous ai posé une question simple !
Myrtille hausse les Ă©paules.
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Et vous, UtĂ©rus chĂ©ri, mère adorĂ©e qui Ă la naissance nous avez abandonnĂ©s, votre pĂ©rinĂ©e s’est-il rĂ©tabli ?
Souffrez-vous d’incontinence ?
J’en serais ravi. Vous n’aviez qu’Ă vous faire dĂ©couper par un charcutier compĂ©tent. Calmer le jeu quand mĂŞme :
— Waura… Enfin… Je dois d’abord vous dire qu’elle est ma sĹ“ur. Waura a Ă©tĂ© très impressionnĂ©e par l’accouchement de Myrtille. Elle y a plus ou moins assistĂ©. Elle n’en a retenu que le pire. Il y a des gens comme ça… GĂ©rer l’Ă©motion, c’est difficile. Et puis ma soeur est doloriste. Mais passons.
— Non, dit Waura. Je veux savoir.
— Soit, chère sĹ“ur. J’avoue : il arrive que les femmes deviennent grossières au moment de la poussĂ©e : ça tire, ça appuie, ça brĂ»le sur le pĂ©rinĂ©e, alors parfois on se lâche parce que dans ces moments-lĂ , la sage-femme, l’obstĂ©tricien, et l’anesthĂ©siste deviennent… intimes.
Modeste Dieulafait, ex-mari et engrosseur officiel de ma soeur, hoche la tĂŞte silencieusement.
En sa qualitĂ© d’obstĂ©tricien, j’imagine.
Et, en sa qualitĂ© d’ex-mari, il se rapproche de la ligne de sĂ©paration tracĂ©e par Waura. Je propage un message de paix et rĂ©conciliation :
— Laissez-vous aller aux larmes ou aux injures. À travers les insultes, les pleurs, ou même le silence, les mères appellent au secours. Elles demandent aide et assistance.
Les lèvres de Modeste dessinent son approbation :
C’est vrai ! Je suis la voix du prophète :
—Dans les dernières minutes surtout, l’Ă©motion est si forte, tout le monde se dit tu.
— C’est entièrement vrai ! crie Modeste. Absolument ! Absolument !
Il applaudit, tout le monde applaudit, se réjouit.
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Waura a perdu : la terreur qu’elle avait distillĂ©e a disparu, envolĂ©e, Ă©vaporĂ©e.
Transporté de joie, le sourcil droit de Modeste se dresse en accent circonflexe.
Je n’ai jamais su lever un sourcil Ă la fois. Je me suis entraĂ®nĂ© devant la glace mais je n’ai jamais rĂ©ussi. C’est comme le sourire. Waura a un sourire en biais du plus bel effet. J’ai la risette classique comme un jardin français.
Oui, Waura me sourit. Le sourire de Waura je peux vous le traduire : j’ai perdu une bataille, petit frère, mais je gagnerai la guerre, je gagne toutes les guerres. Souviens-toi… Il m’a suffi ! d’une Ă©bauche d’estomac pour gober notre troisième jumeau in utero… sous tes yeux et ton oreille interne… Et tu n’as rien fait pour le dĂ©fendre ! Complice ! Tu es complice ! Je ne m’en laisse pas conter, moi… tu peux bien leur faire croire… mais moi, tu ne m’auras pas.
Elle se lève pour balancer une charge toxique :
— L’accouchement est une abomination.
S’ensuit une hypothèse linguistique intolĂ©rable :
— Accouchement égale attouchement.
Quelques murmures indignés la galvanisent :
— La naissance est un viol ! hurle-telle en se tenant le ventre. Comment guĂ©rir de sa naissance ? Je suis passĂ©e par la naissance et je ne la recommanderais Ă personne. J’ai Ă©tĂ© victime d’un accouchement il y a trente-huit ans ; accoucher est la première violence qu’une mère inflige Ă son enfant. Ensuite, elle l’abandonne.
— Parle pour toi, je dis.
— Pour nous deux, YĂ©no. Mesdames, messieurs, je vous dĂ©conseille de mettre bas. Tombez enceints si vous y tenez mais n’accouchez pas.
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François Prunier says
Et des quintuplés ?
François Prunier says
Et des quintuplés ?