Or donc, vous disais-je, ils ont voulu me tuer.
Qui donc, me direz-vous ?
Je vous répondrai un instituteur et un infirmier.
Impossible, rétorquerez-vous, voilà bien deux métiers insoupçonnables.
.
.
Je le jure sur votre tête, ils m’ont poussée dans le vide. 1.436 m. d’altitude. Mais je me suis accrochée à un goyavier. Voici l’affaire.
Tu le sais déjà, fidèle abonné de mes aventures, j’avais abandonné mes enfants aux varans de Franche-Comté, pour rejoindre la Réunion et ses Indiens.
Après une inconfortable lévitation sur Air France, aux côtés d’une famille de ruminants (même en dormant, ils mâchaient leur chewing-gum la gueule ouverte), j’arrivais à Roland Garros, du nom d’un aéroport insulaire doté de courts de tennis.
.
.
L’instituteur et l’infirmier, frères de leurs états, m’accueillirent sur le tarmac.
J’avais rencontré le premier dans un théâtre parisien, et, après que nous eussions lié connaissance, il m’invitait à passer quelques jours sur l’île Bourbon, chez son frère qu’il rejoignait.
A Saint-Denis, confiante, je suis montée dans leur voiture, une allemande de couleur noire, quatre roues motrices et autant de vitres fumées. Et ils m’ont embarquée sur les chemins sinueux de leur île.
Dans les virages, déjà ils accéléraient.
Mais je m’agrippai à la boîte à gants.
De la sorte, je ne traversai pas le pare-brise, et je ne passai pas non plus par la fenêtre sournoisement ouverte.
Pourquoi voulaient-ils me tuer ?
.
.
Il m’est difficile de vous l’avouer, mais écrire, n’est-ce se passer soi-même à tabac ?
Je dois donc confesser, lecteur fidèle, que dans un moment d’égarement, j’avais fais croire à l’instituteur qu’il bénéficiait d’une assurance-vie, sur ma tête.
C’était une plaisanterie. C’était juste pour me rendre intéressante. Mais il m’a crue.
D’où leur première tentative de meurtre, heureusement avortée.
Aussi, dès le premier jour de ma captivité chez eux, je leur révélai mon véritable état, d’extrême pauvreté. Il semble qu’ils ne m’aient pas crue : ils m’ont proposé une randonnée.
.
C’était, prétendûment, une promenade de santé pour débutants.
Pourtant, j’aurais dû me méfier quand le bon professeur des écoles a dit : « Tu verras, le Piton des Neiges est magnifique ». Parce que vous imaginez bien qu’on ne gagne pas le Piton des neiges en deux heures de promenade. En plus, ils savaient que j’avais le vertige. Et ils n’ignoraient pas que le Piton des neiges pouvait se réveiller à toute heure. Certes, il dort depuis très longtemps. Mais justement, il avait toutes les raisons de se réveiller pour exercer ses constrictions volcaniques.
Mais je me laissai endormir par l’instituteur : le ministère de l’éducation nationale était son aura, comme l’uniforme est celle des militaires. J’étais prise dans une torpeur cotonneuse.
.
.
La nuit précédent l’excursion, je ne fermai pas un oeil : les deux frères, qui dormaient ensemble dans deux lits jumeaux, ronflaient de concert, du bonheur de bientôt me trucider.
A quatre heures du matin, heure de Greenwich, ils me sortirent de ma paillasse, et me traînèrent dans le véhicule germanique, toujours aussi noir et fumé. Une étrange odeur herbacée emplissait l’habitacle du corbillard à roues motrices.
Comme ils omirent de me bander les yeux, je nous vis arriver au pied d’un pic qui, déjà, me menaçait de sa pointe acérée. Les alentours étaient vides. Nous étions seuls. Je ne pouvais m’enfuir.
Cependant, je fus autorisée à aller pisser derrière un arbre du voyageur. On eut même la prévenance de me donner une feuille de Sopalin, et d’attendre mon retour en fumant une petite cigarette. Puis, eux équipés de semelles Vibram alors que je n’avais que des savates, nous partîmes à l’assaut de la montagne.
Au départ, ça n’a l’air de rien.
Et puis l’ombre s’épaissit. Les chemins rétrécissent. Les angles s’aggravent.
Nous marchions soi-disant vers une plaine, dite des Palmistes. Pourtant, nulle prairie, au contraire, les sentiers, rocailleux et infestés de racines, se raidissaient.
Et soudain, juste là, à votre gauche, un précipice.
Et vous qui êtes droitière, vous voilà confrontée au vide, le vertige vous gagne, la paralysie vous gangrène, vous prend par les orteils pour remonter jusqu’à votre tête.
J’étais censée tomber seule.
.
.
Leste comme une antilope, l’infirmier passa devant moi. Il manqua choir dans le gouffre. Se rattrapant à la main de son frère, il grimpa finalement au sommet de la pente caillouteuse. Là-haut, il posa ses mains sur les hanches pour me regarder, avec un petit sourire narquois.
Là-dessus, l’instituteur me mit la main aux fesses. Sans doute espérait-il m’encourager à chuter dans l’abîme, mais, hélas pour lui, je m’accrochai à un goyavier, planté sur le bord de l’étroit passage.
Mon instinct de survie était plus fort que leurs pulsions de mort…
Et je triomphai de mes étourdissements.
Seule, j’arrivai en haut. Mon oreille interne, coupable de mes errements, était provisoirement vaincue.
Penauds, les deux frères sanguinaires me regardèrent manger des tortillas, que j’avais eu la présence d’esprit d’apporter avec moi. Car ces vieux garçons n’avaient pas songé à prendre de quoi pique-niquer. Eux qui avaient pensé me faire mon affaire en une heure ou deux, puis fêter mon anéantissement dans un restaurant, ils mourraient de faim.
Nous dûmes marcher cinq heures pour rallier notre point de départ.
N’eussent-été mes tacos, que je partageai avec eux, et les goyaves, goyaviers, bibasses et autres oranges que je leur cueillis sur le chemin du retour, ces assassins seraient morts d’inanition.
Que le seigneur les pardonne d’avoir voulu tuer leur fille.
Ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient.
le vrai et seul bruno says
Le meurtre est une distraction comme une autre. Hi hi hi. Jnvstp.
le vrai et seul bruno says
Le meurtre est une distraction comme une autre. Hi hi hi. Jnvstp.
Sinbad le Marrant says
De purs amateurs, sans aucun doute… Tu as eu raison de les nourrir : ils auraient été incapables de mourir de faim.
Sinbad le Marrant says
De purs amateurs, sans aucun doute… Tu as eu raison de les nourrir : ils auraient été incapables de mourir de faim.
François Prunier says
Il paraît que nous sommes tous capables de tuer, que ce n’est qu’une question de circonstances…
François Prunier says
Il paraît que nous sommes tous capables de tuer, que ce n’est qu’une question de circonstances…