Donc vous êtes mort, tranquille enterré à peine refroidi ouf. Et voilà qu’un des vôtres vous exhume, photographiquement parlant s’entend, mais quand même, il trouble votre sommeil sous prétexte que lui ne dort pas.
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Non pas que ce vôtre profane votre tombe, non, votre tombe est inviolable, scellée au béton armé. Mais ce vôtre, zombifié par le deuil de vous, déterre votre belle  image d’un vieil album photo. Jaune et gondolée, l’image outrepassée vous raconte dans la force d’un bel âge, vous aviez quoi, cinquante-huit ou cinquante-neuf ans, c’était le temps où l’avenir était un peu derrière, beaucoup devant. Entretemps, vous êtes mort ouf tranquille enterré tout juste refroidi. Mais ce vôtre zombifié ne veut pas vous laisser reposer, le jour le brûle et il vous refuse la nuit, alors il brandit le souvenir de vous et il chante : il est vivant, il est vivant, il est vivant, même s’il y a quatre-vingt-dix jours qu’il est  mort pour nous !
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De force, vous voilà  revenu au jour, par photo interposée. Sa guerre au temps soi disant gagnée, le zombifié installe votre portrait comme un trophée, sur le plus haut échelon de sa plus belle  étagère (une boulangère en fer forgé, avec de jolis torsades). Et il se console de votre résurrection, gloire au papier glacé, un bout de votre tronc en deux dimensions est juché là -haut, cinquante ans et des poussières, pas du tout décati, les chairs imputrescibles et les pigments photographiques à l’abri d’une pochette en plastique (le zombi n’a pas de cadre). Alors déni : votre tombe là -bas, fariboles et falbala, le deuil n’existe pas.
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Le soir tombe, et enfin  le zombi s’interroge : Ă©taler mon disparu Ă la vue de ceux qui restent ? Et si mon disparu voulait disparaĂ®tre ? S’il  prĂ©fĂ©rait la nuit sous la terre, et jaunir en paix dans les albums ?
Oui da, tel est mon vœu. Mais comment le signifier à un cornichon de descendant.
Une nuit, c’est lui qui m’invoque : mon proche, cher disparu, viens me parler en rêve et me dire la réponse à l’insoluble question.
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J’essaie de rĂ©pondre. Nuitamment, j’y parviens. J’entre dans son rĂŞve. Mais faute d’entraĂ®nement, je n’arrive pas Ă m’y incarner exactement comme je voudrais. Je surgis en effet onirique, debout Ă la porte de mon bureau en dĂ©sordre, mais paupières semi-closes, visage inexpressif : je n’arrive pas Ă bouger un cil, incapable de dire un mot. Pas d’avis, pas d’opinion, un mort neutre comme un vif helvĂ©tique. Je fais un fantĂ´me pitoyable, j’en conviens.
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Or au petit matin, mon zombi de descendant se souvient de son rêve. Comment interpréter mon inertie ? M’exposer sur le plus haut grade de sa magnifique étagère ? Dans une pochette plastique parce qu’il n’a pas de cadre ? Mais qu’il tient quand même à protéger ma mortalité des UVA-UVB ?
Autre nuit, autre rĂŞve, je fais mieux.
Me voilĂ souriant, quoiqu’assis sur le lit de mon agonie (la dernière), dans la chambre d’hĂ´pital oĂą je fus si mal soignĂ© (le dernier). Mais ce n’est pas grave, je pardonne aux mĂ©decins, aux infirmières et au ministère de la santĂ©. Je souris car je suis entourĂ©, les miens m’entourent, et moi qui avais perdu la tĂŞte et les mots, je retrouve la parole et la mĂ©moire, je prononce les prĂ©noms des miens autour de moi rassemblĂ©s, je leur souris, les voilĂ soulagĂ©s, fin du rĂŞve.
Mais encore une fois, je suis mal compris. Moi je voulais juste dire au revoir et merci, maintenant je m’en vais Ă la nuit. Or ma descendance zombifiĂ©e se rĂ©veille et se dit Ah, papa va mieux, il veut rester sur  mon Ă©tagère.
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Forte de cette fausse impression, elle se lève, marche à la cuisine, se prépare un café décaféiné, amélioré d’un chapeau de chantilly saupoudré de cacao. Or voilà que, passant à côté de son étagère, elle découvre ma photo couchée face contre la tablette. Franchement, pouvais-je envoyer signe plus évident ? Dans la nuit j’ai fait choir  l’image pour marquer ma volonté, oui, je revendique l’oubli. Mais elle ne veut rien entendre. Impérieuse, elle redresse la photographie.
Douze jours de suite, je me couche. Douze jours, elle m’oblige à me remettre debout. Et le treizième, elle va au Monoprix, rayon papeterie, acheter un cadre rigide. De retour chez elle, elle y enferme mon image, et me fixe à son étagère pour m’interdire la nuit.
En vérité je vous le dis, de jour comme de nuit on ne devrait jamais faire d’enfants.
C’est beau… et touchant…
C’est beau… et touchant…
Jésus ! Jésus !!!
Jésus ! Jésus !!!
Les images sont belles, aussi !
Les images sont belles, aussi !
Les enfants pensent savoir ce que les parents pensent, mais il est sĂ»rement très content que sa fille pense Ă lui…
Les enfants pensent savoir ce que les parents pensent, mais il est sĂ»rement très content que sa fille pense Ă lui…
Si toutes les filles auxquelles je pense étaient contentes que je pense à elles !
Si toutes les filles auxquelles je pense étaient contentes que je pense à elles !
Tu sais de qui je rĂŞve, moi, toutes les nuits ?
De Jésus !
Ah bon !? Je savais qu’il avait les cheveux longs mais je ne savais pas qu’il Ă©tait mĂ©tisse et encore moins qu’il Ă©tait de sexe fĂ©minin…
Tu sais de qui je rĂŞve, moi, toutes les nuits ?
De Jésus !
Ah bon !? Je savais qu’il avait les cheveux longs mais je ne savais pas qu’il Ă©tait mĂ©tisse et encore moins qu’il Ă©tait de sexe fĂ©minin…
C’est tellement bizarre, la vie, la mort, tout ça…
C’est tellement bizarre, la vie, la mort, tout ça…
Est-ce bien CĂ©line qui Ă©crivit : « BientĂ´t je serai vieux et tout sera fini… » ? En tout, c’est une belle connerie : qu’est-ce qu’il en savait, que ce serait fini, ne serait-ce pas trop facile ? trop simple ?
Toujours ivre, mon p’tit Bardamu, Ă moins que ce soit le paludisme, relisez-vous, mon vieux !
Est-ce bien CĂ©line qui Ă©crivit : « BientĂ´t je serai vieux et tout sera fini… » ? En tout, c’est une belle connerie : qu’est-ce qu’il en savait, que ce serait fini, ne serait-ce pas trop facile ? trop simple ?
Toujours ivre, mon p’tit Bardamu, Ă moins que ce soit le paludisme, relisez-vous, mon vieux !
Moi, je préfère relire Bessora !
Moi, je préfère relire Bessora !
Encore une fois, vous me prenez au dĂ©pourvu. J’Ă©tais venu l’arme au poing, me voilĂ larme Ă l’oeil.
JNVSTP.
Encore une fois, vous me prenez au dĂ©pourvu. J’Ă©tais venu l’arme au poing, me voilĂ larme Ă l’oeil.
JNVSTP.
« Mais ce n’est pas grave, je pardonne aux mĂ©decins, aux infirmières et au ministère de la santĂ©… »….cette phrase m’a arrachĂ© un de ces rires!
« Mais ce n’est pas grave, je pardonne aux mĂ©decins, aux infirmières et au ministère de la santĂ©… »….cette phrase m’a arrachĂ© un de ces rires!
Cueillie Ă l’estomac, moi aussi. CĹ“ur et gorge serrĂ©s dès les premières phrases. Simplement bravo Ă toi!
Cueillie Ă l’estomac, moi aussi. CĹ“ur et gorge serrĂ©s dès les premières phrases. Simplement bravo Ă toi!