ChĂšre mademoiselle Alexandre Dumas, je suis enceinte de deux mois, quand, il y a sept ans, je dĂ©barque dâune pirogue creusĂ©e dans le bois dâokoumĂ©, sur les bords de la Seine ; comme Pocahontas, en son temps, dĂ©barqua sur les bords de la Tamise.
Jâai vingt et un ans et jâentends bien me consacrer Ă lâethnologie des peuples primitifs, inventorier leurs talismans. Je mâassigne donc un terrain, la Gaule. Oui. Je suis gaulologue ; contrairement Ă Pocahontas, qui nâĂ©tait pas anglologue.
LâaccĂšs Ă la Gaule, vous le savez, exige un long et pĂ©nible dĂ©tour : lâescalade du mont prĂ©fectoral. Un temple se dresse sur son sommet, centre des Ă©tudiants Ă©trangers. Mon premier dessein sera dây pĂ©nĂ©trer pour dĂ©rober un talisman appelĂ© caât de sĂ©jouâ.
Ah, mademoiselle Alexandre Dumas, vous, comme moi, voyez cela dâici :
La caât de sĂ©jouâ, plus fort que la minute de silence dont on ïŹt une symphonie, que lâEmpire State Building ïŹlmĂ© en continu pendant huit heures, que le pot dorĂ© de Beaubourg, et que les frigidaires superposĂ©s.
Avec la caât de sĂ©jouâjâentends rĂ©volutionner lâart contemporain, inventer mon genre Ă moi, toute seule. ChĂšre caât de sĂ©jouâ, ton compte est bon : je saurai faire de toi une Ćuvre dâart, car la valeur de lâart, câest le dollar. LâexpĂ©dition terminĂ©e, je tirerai un bon prix de ta vente Ă un musĂ©e dâart moderne. Ă moi Beaubourg, le Guggenheim, le MOMA de New York et le MIKO de Kyoto ; si lâart ne veut de moi, un musĂ©e-cimetiĂšre te conservera, toi, lâobjet mort, tel un vieil appendice dans un bocal plein de formol. Ou alors, le MusĂ©um dâhistoire naturelle tâempaillera. Tu seras trĂšs bien, entre les restes dâune girafe et le cadavre sans sĂ©pulture dâune vĂ©nus hottentote.
Mademoiselle Alexandre Dumas. Puis-je vous appeler Alexandre ? Comment ? Vous vous prĂ©nommez Hermenondine ? Personnellement, je prĂ©fĂšre Alexandre. Bien. Aujourdâhui, je porte un sweat-shirt de synthĂ©tique bleu sur un jean dĂ©chirĂ© ; mais il y a sept ans, je suis vĂȘtue dâune minijupe en Ă©corce battue et dâun corsage en pagne de raphia. Oui. Je ploie sous la lourde charge de mon Moutete, cette hotte de portage gabonaise que jâai, depuis, remplacĂ©e par un Caddie albanais, Ă quatre roues.
Câest ainsi que jâarrive rue de la Grande-Truanderie, devant la porte du temple, centre des Ă©tudiants Ă©trangers. Des explorateurs multicolores pĂ©nĂštrent la demeure sacrĂ©e un par un. Dâautres sortent par une porte de service, la mine dĂ©faite : ils ont Ă©chouĂ© aux Ă©preuves, le talisman, caât de sĂ©jouâ, est encore lĂ . Je fouille Moutete, Ă la recherche dâun cadeau de bienvenue. Jây trouve un casque de cauri, un sachet de frites belges dĂ©shydratĂ©es, un paquet de Ricola, le bonbon suisse aux plantes, et divers instruments utiles Ă lâexpĂ©dition.
Moutete manque cruellement des objets usuellement recommandĂ©s aux explorateurs : nulle bouteille de whisky, nulle fausse perle, pas la plus petite verroterie. Tout explorateur digne de ce nom sait combien ces babioles sont indispensables avant toute tractation en terre citadogĂšne. Moi, Zara la gaulologue, lâexploratrice du siĂšcle, comment ai-je pu oublier ?
Jâarrime Moutete sur mon dos et entre dans le temple. Il fait trĂšs chaud.
Un petit visage pĂąle Ă longs cheveux noirs, valeureusement armĂ©, est postĂ© dans lâentrĂ©e. Il parle français, un crĂ©ole extrĂȘmement vivace. Je pratique cet idiome couramment : il Ă©tait en option dans mon cursus scolaire. Jâai aussi suivi un cours intitulĂ© : la Gaule, presquâĂźle des Antilles, oĂč jâai appris que les ancĂȘtres des Gaulois Ă©taient des AmĂ©rindiens appelĂ©s CaraĂŻbes.
â Votre panier, mademoiselle.
Le Peau-Blanc ouvre Moutete. Il en sort un buste miniature, en plĂątre, du roi belge LĂ©opold Ier, et un bĂąton de manioc dâorigine amĂ©rindienne emballĂ© dans des feuilles de bananier africain. Il les inspecte tour Ă tour avec un air dâĂ©tonnement mĂȘlĂ© de curiositĂ©. Je remarque son beau costume dâapparat, bleu ciel ; son prĂ©nom est Ă©crit sur les quatre poches du vĂȘtement : Police.
Police est trÚs enrobé, ventripotent comme un gardien de harem.
â Cher Police, gardien du temple sacrĂ©, es-tu Eunuque ? Qui est ton maĂźtre ? Un Sultan gaulois ?
â Ăa sâappelle le ministre de lâIntĂ©rieur, mademoiselle ! Descendez dans la salle des guichets. Hop !
Un escalier me mĂšne Ă une grande piĂšce carrĂ©e, bordĂ©e par douze guichets, les douze autels sacriïŹciels ; un pour chaque divinitĂ© gauloise, jâimagine. Ils sont abritĂ©s par des parois blanches translucides, derriĂšre lesquelles on devine des ombres, Ă forme possiblement humaine ; possiblement. Je transpire de peur. Heureusement, ma sĆur Ninon, citadogĂšne de son Ă©tat, mâhĂ©berge depuis mon arrivĂ©e dans cette tribu gauloise. Elle vit parmi les autochtones de ton espĂšce depuis quinze annĂ©es. Elle mâa expliquĂ© la coutume.
Lâascension du mont prĂ©fectoral est un rite puriïŹcateur ; il rend la prĂ©sence immigrĂ©e mĂ©taphysiquement acceptable aux yeux des reprĂ©sentants gaulois. Il permet de passer du statut de sans-papiers au statut intermĂ©diaire dâex-sans-papiers, et enïŹn, au statut plus ou moins dĂ©ïŹnitif de futur-sans-papiers.
Le rite de lâascension du mont prĂ©fectoral a lieu une fois lâan. Dans le temple sacrĂ©, on rencontre une prĂȘtresse, et on lui offre une pĂąte sĂ©chĂ©e de ïŹbres vĂ©gĂ©tales broyĂ©es, papier, symbole animiste chez les Gaulois. Papier est parfois recouvert dâĂ©criture, une forme primitive de langage. Les Gaulois auraient hĂ©ritĂ© cette Ă©criture dâanciens colons, lâayant eux-mĂȘmes hĂ©ritĂ©e dâanciens encore plus anciens que les anciens. LâĂ©criture est le croupion de la parole ; le verbe de la parole prĂ©cĂšde toujours le cul de lâĂ©criture. Mais cet anus a pris le pouvoir en coupant la parole Ă la bouche. LâĂ©criture se nourrit dĂ©sormais de parole mais ne parle plus : sa bouche est trop pleine ; elle nâest plus quâun oriïŹce rectal distendu, un anus boulimique.
En Ă©change du papier, lâofïŹciante donne le talisman, caât de sĂ©jouâ. Il protĂšge de mille oiseaux volants, charters, qui boutent les explorateurs hors de la tribu, dans le plus grand secret. Caât de sĂ©jouâprotĂšge aussi dâesprits vengeurs et innombrables, nommĂ©s Police, comme lâEunuque aux cheveux longs.
Jâentends une clameur, des voix fĂ©minines monter derriĂšre les parois translucides. Les prĂȘtresses ? Je mâassieds, espĂšre un accueil. Mais personne ne vient…
« 53 cm », roman, 1999, 2011, copyright moi-mĂȘme, disponible
Chez La MargoulineÂ
Lecteur Ă Lunettes says
Je prĂ©fĂšre les deux derniĂšres couvertures Ă celle de la premiĂšre Ă©dition. J’ai quand mĂȘme les trois chez moi. Je les ai toutes lues. A part la couverture, elles se ressemblent mot pour mot. C’est scandaleux !
Lecteur Ă Lunettes says
Je prĂ©fĂšre les deux derniĂšres couvertures Ă celle de la premiĂšre Ă©dition. J’ai quand mĂȘme les trois chez moi. Je les ai toutes lues. A part la couverture, elles se ressemblent mot pour mot. C’est scandaleux !
Finger says
Tu peux en faire un un peu plus long ?
Finger says
Tu peux en faire un un peu plus long ?
Soeur Tout Sourire says
Ca me rappelle quand j’Ă©tais missionnaire et que j’Ă©vangĂ©lisais les sauvages…
Soeur Tout Sourire says
Ca me rappelle quand j’Ă©tais missionnaire et que j’Ă©vangĂ©lisais les sauvages…
Frédérik Mitran says
Aaaa la grùce juvénile au pagne en feuilles de bananier !
Frédérik Mitran says
Aaaa la grùce juvénile au pagne en feuilles de bananier !
Le vrai et seul Bruno says
Etre gaulologue, vous y connaissez un rayon ?
JNVSP
Le vrai et seul Bruno says
Etre gaulologue, vous y connaissez un rayon ?
JNVSP