Ça me fait mal de le dire, madame le commissaire, mais ce type a eu ce qu’il méritait.
Ce jour-là, il pleut, le ciel est gris, on se demande quoi faire de son après-midi.
Isabelle m’appelle. Elle est professeur de Lettres, comme moi, mais elle vient de rater son agrégation. J’ai réussi la mienne du premier coup, mais je n’en tire aucune vanité. Dix-huit ans que j’enseigne le bon français à des crétins de banlieue, mon mari vient de se tirer avec une jeune Asiatique, mes amis se sont évaporés avec mon mariage, je n’ai plus qu’Isabelle. Ça me fait mal de le dire, mais c’est pas une consolation. Alors je vais parfois me réconforter chez Angélina, le salon de thé le plus gourmand de Paris.

Ce jour-là je retrouve Isabelle devant chez Angélina. Il y a foule, une longue queue sur le trottoir. Mais de savoir que Proust est venu boire le thé ici, que des aristocrates y ont croqué le macaron, ça m’adoucit l’existence : eux, au moins, ils savaient lire. Alors franchement, deux heures de queue pour avoir cette revanche, ce n’est pas cher payé.
J’aime attendre mon plaisir. Certaines joies valent le sacrifice de son temps. Une année, j’ai attendu quatre heures au Salon du Livre de Bruxelles pour avoir l’autographe de Paul Auster.
A mon avis, la queue ne durera pas : en moins de deux heures l’affaire sera réglée. L’ambiance est bon enfant devant Angélina. Mais voilà qu’arrive un grand benêt qui cocote le parfum bon marché. Il se poste derrière nous et commence à crachoter des petits soupirs excédés. Et il se met à marmonner du mépris.
– Tous ces abrutis qui attendent qu’on veuille bien les délester de leur monnaie…
Il bouscule tout le monde en râlant toujours.
– Tout ça pour un chocolat ?
Monsieur souhaite être entendu. Monsieur fait son théâtre. Il fait même mine de rebrousser chemin. Non, je ne vois pas pourquoi on le laisserait sortir des rangs. Après tout, on est tous dans la même galère.

Au bout d’un moment, il se résigne à attendre. Eh oui, comme tout le monde ! Il n’y a pas de raison. Mais il grommelle toujours.
– Ma parole, au Pôle Emploi, on attend moins longtemps ! Et assis encore !
Une demi-heure plus tard, on a avancé d’ à peu près deux mètres. Il ne reste plus que dix-sept mètres à parcourir. Il ouvre encore sa grande gueule.
– Au Pôle Emploi, au moins, on se fait pas escroquer par un salon de thé : on prend l’argent des contribuables.
Évidemment, on commence à bouillir Isabelle et moi. Notre salaire, nous on l’a bien mérité : on se saigne pour réduire la fracture sociale. Et ce type-là, un chômeur, il encaisse des allocations pour s’offrir un chocolat chez Angélina ? Décidément, il a une très haute idée de lui-même. Et il ne s’en cache pas.
– Faudrait les assommer d’un peu plus d’impôts, tous ces moutons, y aurait moins la queue chez Angélina.
Oui, il a dit ça. Et tant d’autres choses encore, madame la commissaire.
– Liberté, égalité, fraternité ! Libre de faire la queue pour un macaron à la violette ! Là, c’est sûr, on est tous égaux ! Pas un mouton pour rattraper l’autre ! Tous frères dans la religion du biscuit !
Et c’est là qu’il s’est mis à tousser.
– Excusez-moi, il a dit, j’ai le virus Ebola…
Comment on aurait su que c’était une blague ? Un stratagème pour nous disperser ? On y a cru, madame la commissaire ! De bonne foi ! Il fallait à tout prix contenir l’épidémie !
Isabelle m’a passé son canif sans réfléchir. Et sans y penser, j’ai troué la gorge de ce type.
Et ce serait moi, la coupable ?
Moi, je suis agrégée de lettres. Je réduis la fracture sociale. Ça me fait mal de le dire, mais ce chômeur a eu ce qu’il méritait.
Ah… Paul Auster… Elles en rêvent la nuit…
Encore un très bon billet Bessora. Bravo, bravi,brava !
Ah… Paul Auster… Elles en rêvent la nuit…
Encore un très bon billet Bessora. Bravo, bravi,brava !
Chocolatez-moi…oui, pas tout de suite…pas trop vite…
JNVSP
Chocolatez-moi…oui, pas tout de suite…pas trop vite…
JNVSP
Y font les macarons au sang ?
Si vous avez une recette, ça me permettrait de récupérer le reste de ma soupe, qui a durci…
Y font les macarons au sang ?
Si vous avez une recette, ça me permettrait de récupérer le reste de ma soupe, qui a durci…
Pourquoi elle a durci ta soupe, Drakoule ? Tu l’as mise au congélo ?
Pourquoi elle a durci ta soupe, Drakoule ? Tu l’as mise au congélo ?