Je ne le nierai pas, Madame le Procureur, j’ai invité Karin Bernfeld en excursion sur le mont Cameroun, alors qu’elle n’était même pas noire, mais seulement écrivain. En effet, je ne peux pas justifier de sa négritude (même à demi, ni au quart). Je me suis bien trompée en l’invitant en Afrique. Permettez-moi de m’en expliquer, j’espère que les antiracistes me pardonneront.
Il y a quelques temps, un éditeur et ami sis à Douala (je précise qu’il est noir, 100%), m’invitait à contribuer à une recueil de nouvelles pour les jeunes, en hommage à Nelson Mandela. Vous savez ce type dont tout le monde à peu près se foutait à peu près avant la fin de l’apartheid. L’éditeur me demandait aussi de le fournir en auteurs pour ce beau projet.
Je précise, messieurs les jurés, que le cahier des charges ne faisait pas mention de conditions raciales particulières : j’avais carte blanche. J’ai donc fait appel à un certain nombre d’auteurs qui n’étaient pas noirs : Pierre Bordage, Béatrice Hammer, Karin Bernfeld ont spontanément accepté de participer à l’aventure. Que les choses soient claires, j’ai aussi invité des écrivains noirs, mais vraiment noirs comme il faut.
Tout ça pour dire, madame la Procureuse, que j’ai agi dans l’équité et la transparence, en conformité avec le ministère de l’intérieur qui, je vous le rappelle stipula (sous le règne de Manuel Valls, ministre francophone) : là où il y a du négro, il doit y avoir du blanco. Sinon ça ne va pas. D’ailleurs l’éditeur camerounais a consenti à publier ces auteurs non négro-africain.
Un éditeur bien téméraire, car il faut être fou pour publier des Blancs chez des Noirs. Nul ne l’ignore, les antiracistes conseillent implicitement l’inverse.
Bref, grâce à l’inconscience de cet éditeur camerounais, l’hommage paraissait aux éditions Tropiques (Je suis né en prison), et le projet devait se poursuivre par un voyage à Yaoundé financé par une organisation culturelle française, publique et républicaine.
Tu viens, m’a dit l’éditeur, et tu choisis qui vient avec toi.
Et là, Madame la Procuratrice, j’ai merdé : j’ai choisi Karin Bernfeld, qui avait écrit, dans le recueil, un nouvelle intitulée Je suis un bébé noir.
Parfait, m’avait cependant déclaré l’éditeur. Et je nous voyais déjà, Karin et moi, parties à l’assaut du mont Cameroun, donnant nos conférences inspirées devant des parterres d’écoliers, d’étudiants, de vendeuses de beignets, de porteuses d’eau, d’exploitants agricoles. L’éditeur lui-même semblait s’en réjouir. Quant à Karin, elle préparait ses valises et s’achetait une crème solaire indice 100 parce que le soleil ne l’aime pas, et c’est réciproque.
La réalité m’a rattrapée quand ma proposition d’inviter Karin a finalement été refusée par l’organisation culturelle publique française (donc antiraciste). Car de son avis éclairé (le siècle 18) la moindre des choses, quand on organise des rencontres culturelles pour les Noirs, c’est de leur présenter des intellectuels noirs (au moins à demi).
C’est d’ailleurs l’idée qui sous-tend, en France, le concept de littérature francophone : de l’écrivain coloré pour personne de couleur. Explorons ensemble les catalogues de la Bibliothèque Nationale de France… Vous les voyez, les non-francophones, gravir les flancs du mont Cameroun ?
Heureusement, madame la Procuratrice, la république nous a concocté une loi contre le séparatisme.
Pardon, madame la Procureuse, pour mon erreur de casting avec Karin Bernfeld. Certes, ses tests génétiques ont révélé un taux de négritude inférieur à 2%. Oui, d’accord, elle est illégitime comme écrivain francophone en villégiature au Cameroun. Oui, promis, dorénavant je me soumettrai aux lois tacites de la république des Lettres.
Désolée, Karin, mais les institutions te présument une communauté blanche, étanche. Pardon de te balancer, mais en plus, tu es juive. Et il y a aussi tes drôles d’orientations sexuelles. Tu voudrais pas en plus détruire la famille, si ?
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