Tu as 17 ans, tu t’ennuies, tu ne crois plus aux valeurs de ton pays. Tu te cherches un horizon. Sous l’influence d’autres garçons, plus barbus, plus âgés, tu pars au Sham. Dans ta Syrie idéale, tu voudrais faire naître le califat. Et le monde serait meilleur. Pourtant, tu as peur de mourir.
J’ai commencé à t’écrire à l’automne 2014. On parlait beaucoup, à l’époque, des filles et des garçons qui comme toi partaient. Ils finissaient souvent déchiquetés pour de drôles d’idées.
Je me souviens d’un blondinet qui avait étonné. Ni arabe, ni musulman de souche, il avait fauté. Les terroristes poussaient donc dans les prairies normandes ? Les terroristes viendraient se faire sauter chez nous ?
Tu étais un petit Blanc, un petit Blanc désintégré. Tu rejetais ton père, ta mère, des esclaves mal salariés. Tu rejetais le libéralisme de la société. Tu rejetais l’école, où tu ne pouvais pas parler.
Et puis il y avait tes angoisses. Cette peur de mourir que tu voulais domestiquer. Donner un sens à ta vie, même insensé. Te fabriquer ce destin qui serait d’apprendre à mourir. Quand on est mort, on ne souffre plus.
Tu avais l’espoir d’un monde meilleur. Alors tu es parti. Toulouse, Antalaya, Alep… Plus tu te rapprochais de ton monde idéal, plus il se dérobait. Baba le trafiquant. Achraf, le noble allemand.
Au Sham, on n’arrivait pas vraiment à inventer de nouvelles valeurs. Au Sham, on ne changeait pas réellement de mode de vie. Au Sham, on était les mêmes cons qu’ici. En pire. En caricature.
Tu t’en rendais compte, mais tu ne voulais pas le voir. A part Emmanuel, à part Souleymane, les filles et les garçons autour de toi ne le voyaient pas. Et puis là-bas comme ici, on ne remet pas en question l’ordre établi.
Te souviens-tu d’Alpha, le migrant ? Lui comme toi, pas d’horizon. Son monde meilleur, il pensait le trouver en Europe. Abidjan-Paris, son chemin de désillusion. Paris-Alep, le tien.
Tu parles, nous t’écoutons. Tu marches, nous te suivons. Nous nous rendons compte que tu fais partie de notre famille. On voudrait que tu t’en sortes. Et toi tu nous effraies.
Tu es notre enfant égaré. Notre enfance perdue. La fin de notre innocence.
J’ai fini de t’écrire en janvier 2015. Souvent, tu parles à Salomé, petite soeur adorée. Ton lien vers la vie d’avant. Mais ce qui t’était doux avant ne t’a pas retenu.
Ta soeur n’a rien compris, Nicolas.
Mais elle t’aimera toujours.
A jamais, tu seras le frère sombre d’Alpha.
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