Vous commencez par apprendre l’alphabet, lisez Oui-Oui et Jojo Lapin, la comtesse de SĂ©gur, les bibliothèques roses, Les infirmières en blanc, les bibliothèques vertes…

Et vous vous débrouillez pas mal en rédaction. Le prof de français vous chouchoute. Non, il n’est pas pédophile, non, vous n’avez pas le goût des vieux cochons. Vous entamez un journal intime, pas terrible, Gouverneurs de la rosée, c’est mieux. Le Dernier Jour d’un condamné aussi. L’écriture vous va comme un gant, mais pas comme un métier. Vous n’imaginez pas (encore) qu’elle puisse l’être.
Derrière les livres, il y a des auteurs, vous ĂŞtes au courant, mais vous n’imaginez pas qu’un livre se fabrique dans un chaĂ®ne au sommet duquel trĂ´ne (enfin, pas tant que ça) l’Ă©crivain. Un Ă©crivain, donc ça ne transpire pas, pas de glandes sudoripare mais des glandes Ă lettres d’oĂą les mots coulent tout seuls. On vous dira mĂŞme que Stendhal pondait un livre en quinze jours. Ah, c’est si facile d’Ă©crire un roman.
Sauf Ă ĂŞtre rentier ou multi-actif, l’Ă©crivain est fauchĂ©. Parce qu’un roman c’est 4.500 ventes par an en littĂ©rature, moyenne 2018, Ă l’instar de la jeunesse. 5.900 en bande dessinĂ©e. Les dictionnaires et encyclopĂ©dies tiennent le haut du pavĂ© avec 10.800. Lire Ă ce sujet le rapport d’activitĂ© du Syndicat National de l’Edition. Il nous fait la grâce de ne pas nous parler des mĂ©dianes : elles sont probablement plus basses…
Et puis c’est des vieux, les écrivains, qui jouent au golf et qui ont un grand bureau d’acajou dans une bibliothèque aux lampes Tiffany. Des lustres plus tard, vous vous meublez chez Ikea et écrivez sur un futon. Boum, un livre : accident de parcours ou quoi ? Le XXIe siècle pointe le bout du nez, vous rencontrez des écrivains en chair et en os : ils ne s’éprouvent pas comme des pros. Ils vivent d’amour et d’eau fraîche ou quoi ? Non, ils vivent de bonbons Haribo

Sachant donc qu’aujourd’hui le roi Ecrivain touche en gĂ©nĂ©ral 7 ou 8 % de droits d’auteur, il n’en vit pas. Sauf Ă pondre deux ou trois bouquins l’an. Il ne va pas les faire, bien sĂ»r, il ne veut pas encombrer le marchĂ© (non Ă la surproduction ! hurle l’auteur. Sauf la mienne !). Personnellement, plus d’un livre par an, j’en suis incapable, je ne suis pas Stendhal moi, il me faut plus de quinze jours pour Ă©crire un roman. Et cela malgrĂ© des journĂ©es de trente-deux heures. Alors quoi ?
Di-ver-si-fier. Polyactivez-vous ! Comme l’ami Pierrot, prĂŞtez votre plume. Tout le monde, figurez-vous, veut faire des livres. Mais tout le monde ne sait pas les Ă©crire. Car oui, c’est un mĂ©tier. Alors faites NĂ©gresse (prononcez Ghost Writeuse). Votre avance crèvera le plafond pour un livre qui se vendra sans doute mieux que vos dix-sept derniers rĂ©unis. C’est un contrat d’édition comme un autre, sauf si vous ĂŞtes un Nègre supĂ©rieur, bien sĂ»r : le monde du livre est un secteur hautement inĂ©galitaire, et ce n’est pas seulement la faute des Ă©diteurs, ni non plus celle de la Francofaunie. Et sachez-le, pour ghostwriter, il faut s’effacer derrière la voix de son maĂ®tre. L’écouter. Le recevoir. C’est une gymnastique qui me sied.

PrĂŞter sa plume en direct est aussi possible : faites biographe, pour personne vivante. La personne vivante est une personne inconnue, qui a entendu parler de vous. ArrivĂ©e aux deux tiers de sa vie (on lui souhaite en tout cas), elle Ă©prouve le besoin de la coucher par Ă©crit. Pour les tarifs, voir par exemple les NPI (Nègres Pour Inconnus, en effet, mais le Seigneur leur pardonne, ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient). Les Nègres Pour Inconnus prescrivent 60 euros de l’heure : entretien + retranscription + Ă©criture + composition + corrections + relecture… Bien compter ses heures, c’est souvent plus long qu’il n’y paraĂ®t. Ou demander un tarif horaire supĂ©rieur : merde Ă la fin, vous ĂŞtes Ă©crivain.
Troisième piste, traduisez du français vers le français. Si, si, ça existe. Certaines langues, et certains textes, demandent plus d’un traducteur. Le premier transforme la langue étrangère en français mal dégrossi. Le second traduit d’un français pourri vers un français soluble dans La Grande Librairie. Et puis,sachez-le, le traducteur est payé au feuillet. Et c’est tant mieux pour lui. Et c’est tant pis pour vous, les écrivains. Vous êtes la cinquième roue du carrosse, même si, sans vous, il n’est qu’une citrouille. Là encore, donc, moyen de faire péter son plafond habituel d’avance (quand on en a une).
À noter : ces pistes coûtent moins de sueur et de temps qu’une création originale. Il ne FAUT pas être original. Il faut être rentable. Inscrivons donc ce principe au CPI : un auteur, c’est quelqu’un qui répond à des commandes, selon le principe du Copyright, et qui ramasse assez de thunes pour ne pas être chassé du statut.

Dernière piste. Écris une correspondance entre Rita Hayworth et Barack Obama. Jack, ton ami homosexuel, la vendra Ă prix d’or Ă des libraires de Greenwich. Un filon. HĂ©las Ă©puisĂ© par Leonore Israel. Cette Ă©crivaine sur le dĂ©clin n’a pas manquĂ© d’imagination pour s’en sortir. FauchĂ©e, elle a fini par s’abâtardir dans d’autres mĂ©tiers, comme ces bâtards d’artistes-auteurs qui se salissent dans des emplois prĂ©caires qui ne sont mĂŞme pas artistiques. Quoi ? Tu es artiste et tu t’abaisses Ă faire pizzaiolo le vendredi ?
Moi, si je pouvais, je reprendrais la confiserie de ma grand-mère ou le chantier naval de papa. Trop tard. Je m’en fous, parce qu’écrire n’est pas qu’un métier. C’est un superpouvoir.
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