M’en revenant d’un bateau restaurant au confluent de l’Oise et de la Seine je croise ce chat. Tatoué à l’oreille, collier au cou, il est marié. Mais n’en cherche pas moins une maîtresse. Alors nuitamment, il traîne dans les rues.
L’âme cougar (le jeune homme a 8 mois à peu près), je me laisse suivre, l’appâtant avec des caresses. Mais je ne promets rien : nulle litière en ma maison, point de whiskas, mais un canapé confortable et deux ou trois lits douillets. Les chats, je sais les faire ronronner, surtout quand ils sont roux et que leurs yeux sont jaunes.
Voilà le damoiseau chez moi. Il est sorti de son territoire, je m’inquiète déjà de sa faculté à retrouver son chemin quand nous nous serons lassés l’un de l’autre. Lui ne se soucie que de marquer son nouvel espace. Il ne pisse pas, non, sa femme l’a bien élevé. Flans et museau, il se frotte dans tous les coins.
La culpabilité me monte. Je n’aurais pas dû emprunter John Doe (je lui ai déjà trouvé un nom) à son officielle qui doit se morfondre. Dans le doute, j’ouvre grand portes et fenêtre pour l’encourager à retourner chez lui avant que nous commettions l’irréparable.
Mais mon canapé lui est si confortable qu’il a déjà oublié l’adresse figurant sur sa dernière quittance de loyer.
J’ai une pensée émue pour la pauvre créature qui l’a recueilli, tatoué, castré… nourri et torché dans une litière écolo. Et il l’abandonnerait ? Je lui offre un coup à boire, de l’eau du robinet parce qu’il n’aime pas le Capri Sun. Il lape un peu et, queue en l’air, réclame à manger. Tu n’aurais pas de la croquette de qualité ? Non. Et puis il ne faut pas nourrir son amant, au risque d’en faire un mari. Après, vous ne pourrez plus le foutre à la porte, sauf si passe une cougar s’en revenant d’un bateau restaurant.
Son estomac vide et sa dame oubliée, on discute, d’où tu viens, tu fais quoi dans la vie et nous voilà au lit. La fenêtre est ouverte toujours, et en m’endormant, j’ai l’espoir que pris de remords , il sera retourné chez lui avant l’aube.
La nuit passe, le soleil se lève, moi aussi.
Pas lui. N’osant le réveiller, je me prépare un café, je regrette tellement ! Comment vais-je me débarrasser de cet opportuniste maintenant que je lui ai prêté les draps et que je lui ai dit que j’écrivais des livres ! Depuis Colette, les chats sont passionnés d’écriture , en particulier quand leur maîtresse sort trois livres dans quatre pays. Sur l’oreiller je m’en suis vantée : Serbie, France, Canada, États-Unis, en février , John Doe, tu pourras lire trois de mes inédits dans trois langues et quatre pays.
À midi, il dormait toujours.
Alors je rédige une annonce pour le Franprix, le Super U et le Carrefour City : par pitié, madame sa maman, revenez le prendre, il regrette beaucoup, beaucoup, de vous avoir quittée, mais c’était pour de rire, il ne recommencera plus, et puis par chez moi on est allergique aux poils de chat. Puis je me remet à ma tétralogie (si vous préférez le latin au grec, dites quadrilogie, personnellement je trouve que c’est plus clair).
Vers trois heures moins dix, John Doe apparaît. En bon chat d’écrivain , il se blottit entre mes pieds et mon manuscrit. Et il me lance ce regard effrayant qui veut dire : toi, je ne te quitterai jamais. Même si tu ne me donnes rien à bouffer, je resterai chez toi.
Il fallait sévir.
Je le prends dans mes bras, sors de chez moi, lui murmure des mots doux pour tromper sa méfiance, parcours les trois cents mètres qui nous séparent de notre lieu de rencontre et le pose là, au sol.
J’attends.
Rien.
D’ici, lui dis-je, tu devrais retrouver ta maison, John Doe. Ta vraie maison. Celle dont l’adresse figure sur ta dernière quittance de loyer. A ces mots, il saute par-dessus une barrière. Sa maison est là. Là où il m’a pêcho. Ce minet pêcho en bas de chez lui, sous le nez des siens ?
Nous nous sommes quittés en bons termes. Dès sa première croquette avalée, il aura oublié notre passion amoureuse.
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