Un extrait de cet avant-dernier roman, paru en 2018 au Serpent Ă Plumes, et oĂą Johann, enfant illĂ©gitime d’un explorateur Breton, quitte sa RĂ©union natale en 1846, et dĂ©barque Ă Paris afin de devenir, lui aussi, un très grand explorateur… voire le premier homme blanc Ă tuer un gorille. Problème : c’est un bâtard… dans tous les sens du terme.

Des années plus loin et six mille kilomètres plus tard, Banneka courait dans les herbes hautes, et toi tu serrais la mâchoire, consumé de fièvres. Ton cerveau s’ébouillantait. Enfin, pensais-tu aux lisières du délire, je vais me trouver face à cet animal monstrueux, viens à moi, bête féroce qu’aucun homme blanc n’a encore affrontée, rejoins-moi, singesse, que je te règle ton compte. Tu étais au tournant de ton existence.
La tuer. Offrir sa peau au vice-amiral Standish. Ou à Speke, Burton, Livingstone. La couper en trois, alors. Peut-être en quatre. Les doigts un peu raides, tu vérifias tes fusils. Mais aucun gorille ne se montrait encore. Vous montez la pente raide d’une colline, franchissez des débordements aquatiques, traversez des cours d’eau asséchés. Toujours rien. La journée s’égrène sans récompenses. Jusqu’à ce que, tout au bout du jour, dans un lointain indiscernable, un grognement s’exprime. Ce cri, c’était quelque chose d’impensable. Sourd et vrombissant, on n’aurait su dire si c’était le hur‑ lement d’une bête ou d’un humain. Ou d’autre chose encore.
Le son démesuré voyagea dans l’espace et le temps pendant de très longues secondes et de très nombreux kilomètres. Il finit sa course contre une paroi rocheuse où il alla se heurter.
Là il rebondit, se fit écho à lui-même. Remonta le siècle, jusqu’en Amérique cent soixante-cinq ans plus tôt.
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