Premier cours de gym de l’année.
Les feignasses au fond, les meilleures devant. J’en suis. 20 ans de danse classique, ballet-jazz, gym tonic et autres abdo-fessiers m’ont valu trois médailles : une tendinite aux deux adducteurs, un claquage musculaire de la jambe droite, un ménisque déchiré à gauche.
Je suis fière de mes blessures de guerre. Et nous sommes cinq courageuses, ce matin, alignées sur trois rangs disciplinaires.
Devant, moi-même, et une concurrente sportive (elle a de beaux restes …).
Au fond, une fausse blonde, l’embonpoint très certain, s’acoquine avec une ancienne, soucieuse de son entretien.
Au milieu, une demoiselle tout de jean vêtue tremble comme une feuille. C’est que toutes les polices, assistées de tous les corbeaux et délateurs de France, cherchent depuis la veille une présumée terroriste algérienne. Or la demoiselle transie dans le rang du milieu paraît maghrébine. Pis, elle porte un foulard rose bonbon.
Mais personne ne semble incommodé par ce bout de tissu rose, pas plus que par les bourrelets de la dame du dernier rang, qui couvre ses cheveux sombres d’une teinture blond cendré.
Le cours commence. Allumage des ischio-jambiers. Torsion des ceintures abdominales. Lapsus de la professeur de gymnastique.
Il ne faut pas cacher… pardon… casser… le corps quand vous vous penchez…
Avalez votre ventre !
Montrez votre ventre…
Engagez les abdominaux.
Evidemment, ces commentaires ne me concernent pas. Je ne porte ni voile rose bonbon, ni voile blond cendré, et mes abdominaux sont des personnes très engagées dans la vie publique.
Fin du cours. Fourbues, nous nous saluons toutes courtoisement. Chacune quitte le cours, excepté les deux dames du fond. Elles attendent quelque chose ? Je passe à l’accueil, confirmer mon inscription. Et le quelque chose que les deux dames du fond attendaient se produit : la demoiselle au foulard rose quitte le centre d’animation, et s’éloigne, suffisamment pour qu’on déverse dans son dos tout ce qu’on n’a pas osé lui vomir en face.
C’est la fausse blonde aux bourrelets qui se plaint à l’accueil.
Ecoutez … je suis enseignante…
Comprenons que sa parole sera juste et qu’il faudra donc s’y soumettre.
Ici c’est un espace public. Ici, c’est un pays laïc.
Comprenons qu’elle a bien appris ses leçons. Celles de l’école, et celles de la télévision.
Si cette dame revient avec son voile, moi je ne viens plus en cours.
Comprenons qu’elle n’est pas raciste. Ni anti-laïque. Elle est juste dans son bon droit. L’autre, c’est une hors-la-loi.
Elle, qui enseigne, elle a sa bonne conscience pour elle, et tous les alibis qu’il faut pour discriminer, sous couvert d’émanciper.
Parce que vous comprenez, les femmes voilées, elles sont trop bêtes pour s’émanciper toutes seules.
Et elle qui porte un voile blond cendré, parce qu’un magazine féminin lui a dit que les brunes comptaient pour des prunes, elle est bien placée pour parler d’émancipation féminine. La preuve, elle revendique ses kilos en trop, même si elle fait tout pour les perdre.
Et qui répare l’évier bouché à la maison? Son mari ? Est-ce qu’elle s’y connaît, elle, en plomberie ?
Parole, des voiles, il y en a… Mais pas seulement sur les têtes qu’on croit.
Et voile à ! Bravo !