J’ai donc été élue présidente de la République. Mon mandat démarre sur des chapeaux de roue par la publication de cette photo tout à fait ridicule dans Livres Hebdo. Mais j’assume toutes mes gueules. Maintenant que j’ai gagné cette redoutable élection, je voudrais rendre deux ou trois hommages.
D’abord vous remercier pour vos lettres de condoléances, nombreuses, et pour vos maints témoignages d’affection envers MWD 121 SL WHIRLPOOL, mon défunt four à micro-ondes. Mais un malheur n’arrivant jamais seul, j’ai l’immense chagrin de vous annoncer un nouveau décès, celui d’Alphonsine.
Alphonsine est née en 2008 dans le département du Nord, et a vécu ses dix premières années dans le foyer aimant de Mr. et Mme P. L’âge venant, ses parents d’accueil, ne pouvant plus en assumer la charge, me l’ont confiée. J’ai signé les papiers d’adoption d’Alphonsine en janvier de cette année et je l’ai rebaptisée (il faut débaptiser et rebaptiser les enfants adoptifs pour favoriser leur intégration. Et si possible, les couper absolument de leurs origines).
Elle s’appelait Alphonsine Ka, en référence à Alphonse Qô, boa bien connu de Cypora Petitjean-Cerf, amie écrivaine, medium et éleveuse de serpents en appartement. Les huit premiers mois d’Alphonsine avec moi furent idylliques. Je la conduisais si bien que tous les mois, Direct Assurances me remboursait 18 euros de ma prime, parce que j’avais respecté les normes d’accélération, de freinage, de virage…
Mais samedi dernier, alors qu’Alphonsine et moi quittions l’Institut National des Langues Orientales, – j’y avais exprimé mon intéressant point de vue sur l’Intelligence Artificielle dans la traduction technique, audiovisuelle et littéraire, alors, donc, que nous quittions la rue des Grands Moulins, une fumée blanche s’est échappée du capot d’Alphonsine.
Je me trouvais sur la troisième voie du périphérique, et j’étais cernée de chauffards parisiens. Je ne pouvais décemment pas m’arrêter au milieu de la chaussée et bloquer la circulation. Le chauffard parisien est sans pitié, il tuerait n’importe quel automobiliste pour moins que ça. Ajoutez-y 150 euros de dépanneuse. J’ai donc traîné ma petite Alphonsine jusqu’à la sortie la plus proche.
L’enfant s’est reposée deux jours, l’ambulance est arrivée ce matin. J’ai pris place sur le siège passager et nous avons roulé jusqu’à l’hôpital dans un silence de mort. La radio était allumée, des commentateurs commentaient les commentaires de commentateurs, à propos d’Islam, de terroristes, de problèmes musulmans, de vilains voiles, de très grand remplacement, d’horribles burkas, de méchants terroristes. Wissam El Kinany, qui conduisait l’ambulance d’Alphonsine a dit : « Si vous êtes d’accord, on va plutôt mettre de la musique ? » J’ai pensé, Putain, quel philosophe, avec tout ce qu’il se prend dans la gueule, j’aurais cru qu’il dirait Bon, si vous êtes d’accord on va plutôt faire sauter LCI ?
Et puis on est arrivé à l’hôpital.
Alors j’ai su : le joint de culasse d’Alphonsine était foutu.
Putain de joint de culasse de durite de merde ! j’ai pensé
Bref, il lui faut une greffe de moteur.
Je n’ai pas fini de pleurer Alphonsine…
Mais réjouissez-vous, car je roule pour les écrivains, tous les écrivains.
Alors c’est vrai, les auteurs ont des problèmes avec l’URSSAF, leurs éditeurs, les impôts…
Mais aussi, ils changent parfois la vie des gamins qu’ils visitent dans les écoles, et des gens qu’ils rencontrent dans les salons.
Et puisqu’ils ne se réduisent pas à l’argent qu’ils gagnent, et au prix qu’ils valent, ils nous rappellent, à tous, que les êtres humains ne sont pas que des tubes digestifs.
Alphonsine non plus…
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