Contactée par le magazine Lire en février, j’ai été invitée à réagir sur la féminisation des noms de métiers… que nous accorde l’Académie.
Ci-dessous l’intégralité de mes réponses, dont certaines ont été reprises dans le papier publié ces derniers jour, signé Gladys Marivat…
Comment avez-vous réagi à l’annonce de la féminisation des noms de métiers par l’Académie française ?
Vous me l’apprenez… je me trouve en Afrique du sud en ce moment. Franchement, il ne s’agit pas d’une révolution à mon petit niveau : mon métier consiste déjà à féminiser ou à masculiniser les mots, ou les personnages, quand ça m’est nécessaire. Tous les genres me vont. J’aime assez pouvoir dire à la fois écrivain, écrivaine, auteur, auteure ou autrice quand je parle de mon métier. Mes camarades masculins, qui ont été sacrifiés sur l’autel du genre neutre, n’ont pas cette chance… Ils devraient eux aussi pouvoir porter des jupes ou des talons.
Qu’est-ce que cette décision dit de cette institution et de son rapport à notre société ?
Prenez un usage et mettez-le dans une boite de conserve. C’est ce que font le droit et les institutions, en oubliant parfois que les boites de conserve ont aussi une date de péremption. Mais la féminisation n’est pas vraiment un usage. Ce n’est pas parce que je dis autrice que tout le monde doit en prendre l’habitude. Il m’est aussi arrivé d’écrive Dieue, ou un autruche, ou un sage-femme, à dessein, sans attendre une validation académique. Cependant, je suis curieuse de voir si la féminisation va prendre dans la société, et comment.
Que pensez-vous de la mission de l’Académie française, notamment en ce qui concerne ce qu’il faut dire ou ne pas dire en français ?
C’est à l’école que j’ai appris ce qu’il fallait dire et ne pas dire. Je me suis attachée à ces règles comme à celles d’un jeu, mais je suis aussi très tricheuse. Si les règles m’empêchent d’exprimer une idée, je les tords. Peut-être triche-t-on mieux quand on connaît les règles. Maintenant, pour mettre une langue dans une boite de conserve, il faudrait qu’elle soit morte. Je ne crois pas que le français soit mort. Vous pourrez lui dicter toutes les règles que vous voudrez, il finira toujours par faire ce qui lui chante.
Comment cette institution est perçue dans les pays francophones ou non où vous vous rendez régulièrement ?
Je n’ai jamais posé la question, quoique je me trouve actuellement non loin de Franschhoek (le coin des Français), en Afrique du Sud. Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une « perception » de l’Académie dans les pays dits francophones, d’une part parce que les institutions françaises s’excluent très souvent de la francophonie, et d’autre part parce que les pays dits francophones ne cherchent pas particulièrement à y inclure la France, du moins quand elle est perçue comme blanche. Par exemple, l’Organisation Internationale de la Francophonie n’a pas décerné le prix des cinq continents à un auteur français perçu comme blanc depuis 15 ans. Il y a bien eu deux mentions spéciales : un auteur à demi-Vénézuélien et une autrice née en Tunisie. Je n’ai encore jamais entendu l’Académie se plaindre de cette exclusion.
La richesse et la diversité de la langue française dans le monde, tant vantées par le président de la République ou le Collège de France, sont-elles prises en considération par l’Académie française ? Sinon, que pourrait-on imaginer pour ouvrir l’institution aux mondes francophones ?
Vous ne pouvez pas demander une chose pareille à l’Académie ! Ce serait comme la déplacer de force au Vénézuela, en banlieue ou en Tunisie !
Plus sérieusement, bon nombre d’académiciens sont nés à l’étranger ou ont des nationalités ou des origines étrangères, ce dont je me réjouis. Mais il existe aussi, en France, un mythe hexagonal qui nous empêche de nous intégrer à la francophonie. On voit encore des livres de géographie, en CM1, représenter la France comme un hexagone dont sont exclus la Corse, les Antilles, la Guyane, Saint-Pierre et Miquelon, Tahiti, La Réunion, etc…. Mes amis les plus cultivés, quand ils sont nés sur l’hexagone, ignorent que les ¾ de l’Amérique du nord ont été français. Ils ne savent pas toujours qu’il existe des instituts et des alliances françaises à l’étranger. Dans les universités françaises, les librairies, ou à la BNF, mondes francophones signifie soit écrivain étranger s’exprimant en français, soit écrivain français ayant une gueule d’étranger. La dernière fois que je suis allée sur le site internet de la BNF, la Martinique n’était pas un département français mais un « pays » du « reste du monde ». Aujourd’hui, à moins bien sûr d’abjurer Haïti, Alexandre Dumas ne serait sans doute pas un écrivain français, mais un écrivain francophone.
Bref, il ne suffit pas de mettre un costume d’académicien à Senghor ou d’avoir quantité d’académiciens ouverts sur l’extérieur pour sortir l’Académie du mythe hexagonal et la convertir à la francophonie. La croyance est toujours plus forte que la connaissance. L’Académie sait sûrement que le français n’est pas une propriété nationale que la banlieue et les étrangers nous empruntent. Mais l’institution ne peut pas ou ne veut pas y croire. Je ne crois pas qu’on puisse la forcer à changer de religion…
La France n’est pas l’Angleterre : quand les colons anglais lui ont volé l’Amérique, si l’Angleterre avait une illusion de propriété sur la langue, elle a dû l’abandonner. L’anglais est devenu, après le mandarin, la langue la plus parlée au monde et la plus internationale, sans que la reine Elisabeth le décrète à un quelconque sommet de l’anglophonie. Vous me parlez du collège de France, je ne crois pas qu’un collège d’Angleterre ait éprouvé le besoin de se vanter à lui-même la richesse ou la diversité de l’anglais ? Moi non plus, je n’ai pas besoin de me convaincre de la vitalité du français : même s’il ne rayonne plus sur le monde, je ne présuppose pas qu’il est mort.
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