
Je m’en revenais d’une expédition dans le Val d’Oise, chargée comme un baudet. Mes porteurs m’avaient lâchée à la station Argenteuil, soi-disant parce que le portage n’était pas inscrit dans les conventions collectives bessancourtoises. Par ailleurs, un syndicat bouffémontois l’interdirait…
Oui mais moi je m’en fous, ils peuvent bien revêtir leurs gilets arc-en-ciel, en appeler au référendum, à la démission de Macron, je trace ma route…
ePrécisément dans les sous-sols de la gare Saint-Lazare où, sans l’aide d’aucun personnel, et dans les balbutiements de cette révolution tout à fait civile et citoyenne, je cherche un accès à la ligne 12 du métro, direction Mairie d’Ici. Y a pas. Ici est fermé pour cause de changement de régime. Un gilet bleu, autrement appelé agent de renseignement RATP/SNCF, m’informe de ce que, suite à la réécriture de la constitution de l’an II, la ligne n°XII du métro est fermée. En effet, quatre gilets arc-en-ciel ont décrété le pouvoir du peuple, sans d’ailleurs le consulter. Pas besoin : le peuple, on sait ce qu’il pense. Il pense comme soi. Il est toujours d’accord avec soi. Le peuple c’est moi. Des dictateurs plébiscités l’ont largement démontré. Ainsi sommes-nous passés, ce décembre, d’une monarchie multiséculaire à sa restauration par la voix d’un monarque autoproclamé vêtu d’un gilet arc-en-ciel. Sa frange la plus couillue avait inscrit, dans son cahier de doléances : Brigitte, suce ma bite. Chose entendue, en effet, dans les couloirs du métro. Premier article de la nouvelle constitution : la ligne XII du métro sera fermée jusqu’à nouvel ordre constitutionnel de l’an quelque chose.

Tentons la ligne n° XIII, direction Châtillon Fils de Château Petit Cousin au 3ème Degré de Châtelet-les-Halles. Pour ce faire, rejoindre la circonscription concernée, à 300 mètres au fond du couloir à gauche, et puis à droite, 250 mètres, franchir un escalier de VII marches, traverser une plateforme de 2,5 mètres, descendre un escalier de XI marches, plateforme, escalator, en panne, couloir à gauche, ascenseur, en panne, escalier, tourner à droite, baisser la tête, arrivée. Là-bas, sur le quai de la ligne XIII, le règlement diffère, le taux de cotisation sociale généralisée n’est pas le même non plus, et puis ça dépend si vous êtes salarié, à la retraite, autoentrepreneur, indépendant, artiste auteur en BNC ou assimilé salarié. Encore que.
Et je ne vous dis pas dans les DOM-TOM. Cependant, la ligne n°XIII est en suspens pour cause de brainsortming politique, silence, on écrit les douze cents articles liminaires de la constitution de l’ordre nouveau. Je trace ma route. Veuillez rejoindre la ligne n°XIV, trente-sept degrés plus au nord.
Munie de mon chargement (une valise et un caddie de grand-mère plein de gravats), j’arrive sur le quai de la ligne XIV. Il est encombré, des déclassés des lignes VII, IX, XII,XIII, etc. Des flics aboient des ordres alors que tous attendent la rame du Référendum d’Initiative Populaire. Pardon, Citoyenne. On se fout déjà sur la gueule. Ô palabres. On commente, on s’écharpe à coup de bons et de mauvais mots, on se branle à coup d’arguments, on palabre à l’Africaine. De savants constitutionnalistes débattent avec des experts observateurs humanistes. Etrange… ils ont des têtes en forme de nombril. Mais des nombrils éléphantesques, de ces égos hypertrophiés, convaincus de leur amour de l’humain.
Extraits. Non, on ne va pas s’inspirer de nos amis suisses. Ils sont gentils, les Suisses, mais ils sont un petit peuple et un peuple très, très particulier. Le Français n’est pas pas petit. Il n’est pas particulier, il est con. Non mais franchement, est-ce qu’il ne serait pas un petit peu con ? Est-ce qu’on peut lui donner le pouvoir ? Que va penser le monde, quand il saura que le Français s’appelle monsieur Bidochon ? La peine de mort, vous imaginez ? Le mariage gay, vous vous rendez compte ? L’avortement ! Monsieur Bidochon n’est pas gynécologue ! Madame Bidochon n’a pas fait d’études supérieures ! Comment déciderait-elle ? Et vous madame Niakwé, qu’en pensez-vous ?
Madame Niakwé, c’est moi. Je pense à cause du caddie. Et de la couleur, mais cela va de soi. Puisqu’on m’interpelle, je réponds. Je précise d’abord que je ne suis pas originaire des colonies d’outre-mer. Et puisqu’on parle des îles, j’ajoute qu’en effet, le référendum a quelque chose de terrifiant. On l’a vu pas plus tard que ce mois-ci : demandez au Calédoniens s’ils veulent l’indépendance… ils grimpent sur un cocotier et ils choisissent la soumission.

Cela dit… je comprends qu’on ait peur d’interroger les Corses et les Limougeauds. Ils risqueraient de grimper aux arbres. Les Bretons ranimeraient des langues grabataires… Et s’agissant de religion ou d’immigration, certes, monsieur Bidochon de France voterait probablement comme monsieur Röstigraben de Suisse. Ou pire. Je ne sais pas moi… oui à la flagellation publique des femmes voilées ? De quoi on aurait l’air à l’ONU ? Personnellement, ça m’est égal. Le ridicule ne tue pas. Sur ces belles paroles, les savants de conclure : le peuple, c’est quand même mieux quand il ferme sa gueule.
Arrivée du métro, début de soulèvement populaire, autrement dit exercice de démocratie et de solidarité : coups de coudes, écrasements de pieds, fracas d’épaules et d’omoplates, c’est à qui sera le plus fort pour entrer dans les wagons déjà pleins. Je ne fais pas le poids. Mon caddie, si. Soudain, il prend vie et, tel un Hooligan de jaune vêtu, broie quelques métatarses, réduit en miettes une demi-douzaine de tibias. Me voilà à l’abri, dans cet intérieur empoisonné de démocrates compressés, la face écrasée contre une vitre citoyenne. La bétaillère démarre. J’en entends un qui cancane encore sur les vertus du référendum d’initiative citoyenne. Il est contre la faim dans le monde. Pour la paix au Moyen-Orient. Mais en guerre avec sa belle-mère depuis bientôt quarante ans.
Moi je m’en fous, j’ai un très joli sapin de Noël à la maison.
Quelle que soit la couleur de votre gilet, je vous souhaite de belles fêtes.
Les plus belles possibles.
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