Je vous en ai touché un mot, je me suis envolée en juin dernier vers l'hiver Captonien. Au programme une mission littéraire et diplomatique : Stendhal, les 100 ans de Mandela, et un dîner post-coupe du monde avec ces messieurs dames de l'ambassade, du consulat et de l'écologie.

Je ne dévoilerai pas l'objet de ma mission car, comme Ethan Hunt, je suis tenue au secret professionnel. Oui, mon objectif est assez proche de celui du héros de Mission Impossible : intercepter une espèce de gaz toxique vendu à des terroristes de Pretoria dans les années 40 du siècle passé. Bien entendu, toute mission, qu'elle soit Stendhal ou Impossible, devrait se raconter du point de vue du gentil : nous sommes tous des bisounours ou des scientologues. Bon, mon protagoniste ne sera ni l'un ni l'autre.
Mandela a eu 100 ans (enfin il les aurait eu), le 18 juillet. Je n'en aurais rien su si je ne m'étais trouvée à Robben Island ce jour-là. Vous savez, cette ancienne léproserie transformée en prison pour les hommes noirs, colorés ou asiatiques. Mandela est maintenant une icône internationale et le prince Harry a épousé une métisse. Parfaitement lisse de poil et droite de nez, elle aurait passé avec succès le test sud-africain du crayon : s'il y avait un doute sur votre appartenance raciale, on vous glissait un crayon dans les cheveux ; qu'il tombe, et vous étiez blanc. Sinon tant pis, vous étiez non-blanc, voire roux.
Mandela n'était pas un intégriste du brushing, et il n'était pas roux. Pourtant le monde entier l'a récupéré. Le symbole génère beaucoup de profit, via divers sites touristiques et produits dérivés permettant à chacun de se payer une bonne conscience à bas prix. Ma bonne dame, plus personne aujourd'hui n'est raciste, d'aucun côté. Nous sommes tous des bisounours.

Un crayon n'arrivant jamais seul, je me trouvais aussi à Cape Town le soir de la finale de foot, que je n'ai pas regardée. En plus, j'étais pour la Croatie, parce qu' on avait perdu la Hollande, je crois, ou le Danemark, je ne sais plus, en tout cas une équipe que je trouvais sympathique (je ne suis pas patriote, ce n'est pas tendance, je sais, surtout avec la gueule que j'ai, d'accord).
Je me suis beaucoup amusée d'entendre des Africains pur sucre se réjouir de la victoire de l'Afrique en coupe du monde. On ne peut pas les contredire : avec le Franc CFA, la France c'est un peu la Françafrique. Ce qui ne m'a pas empêchée de dîner agréablement dans un restaurant de Camps Bay, en compagnie des représentants de la France et du gouvernement Macron. Je représentais la littérature. Du moins l'écrivain missionné pour un mois en Afrique du Sud.
Nous étions treize à table, monsieur Hulot et sa dame de passage pour les 100 ans du héros de la réconciliation sud-africaine. Non, il n' a pas été question d'écologie lors de ce dîner, ni de démission. Pas un mot de politique. Quant à moi je n'ai parlé que de mes livres, de mon passionnant projet de roman, des pneus lisses de mon SUV, des chiens enfermés derrière les barrières électrifiées et qui aboyaient. Non, je n'ai pas dit que les Noirs avaient peur des chiens. Je n'ai pas dit que j'avais déjà vu ça sous d'autres latitudes qui n'avaient jamais, jamais, mais jamais pratiqué une quelconque forme de ségrégation. D'ailleurs, j'ai moi-même séjourné derrière une barrière électrifiée, avec deux chiens : un bâtard de chien loup et un bâtard de bichon, donc des "coloured".

Bien sûr, je n'ai pas parlé des armoires à glace qui s'enfuient à votre approche, parce que vous êtes coloured comme un bâtard de chien-loup et qu'ils sont white comme des bichons de Malte : les coloured, même quand ils pèsent 48 kilos, sont leurs Arabes. Nuançons : une fois qu'ils ont compris que vous êtes étrangère, et que donc vous n'êtes pas leur Arabe de 48kg, ces bichons deviennent très aimables. Tellement aimables qu'on n'imagine pas ce peuple réconcilié si malade de cette ségrégation abolie sur le papier. Dont il porte seul la honte et la culpabilité alors qu'il ne l'a pas inventée tout seul. Et dont les symptômes débordent très largement ses frontières.
J'avais mis une jolie robe pour ce dîner et j'ai même réussi à être aimable. J'ai trouvé tout un chacun sympathique et tout un chacun a dû me croire fréquentable. Bon. Ils ne devaient pas être au courant de mes propos sur la francophonie. Et soudain Nicolas Hulot s'est levé, tout le monde s'est levé après lui, et je suis restée assise en me disant, tiens, ça doit être parce qu'il est ministre. Un truc de protocole. Mais moi j'étais l'écrivain, qui n'y connaissait rien en protocole. Alors chaleureuses embrassades, photos à gogo (non, je n'en ai pas prises pour mon insta), au revoir et à bientôt. La délégation s'en est allée. Je suis restée seule à table et j'ai commandé un thé. A la bergamote.
Vive l’authentique Bessora sans additifs ni colorants!