30 mn d'Orlybus, 8 heures d'avion, 6 heures de décalage horaire. Je n'ai vraiment peur de rien. C'est que (presque) tout le monde m'attend à Brooklyn pour entendre mon accent coréen dans une rencontre anglophone et mémorable : Find your family…
La faute à Alpha, Coulibaly de son nom de famille, personnage de fiction auquel j’ai donné vie il y a quelques années. Dans la vraie vie, on le tirerait comme un lapin dès qu’il tenterait de passer une frontière. Mais comme cela n’arrive que dans un roman graphique, on l’invite partout : Espagne, Royaume-Uni, Trumpland, et même la Croatie où il sera bientôt reçu avec les honneurs.
Mais puisqu’il est tout noir et parle le français avec un accent petit Nègre, je lui sers d’ambassadrice : mes souches européennes et mon premier prénom très convenable dont, cependant, je n’affiche pas la chrétienté. Appelez-moi par le second : Dieu merci, Bessora n’est pas sainte.
Tout s’est donc bien passé jusqu’au moment fatidique de l’embarquement dans, si je me souviens bien un Airbus A330. Ensuite, l’angoisse : qui trouverais-je assis sur le siège 18G, à ma gauche (j’ai pris le hublot). En règle générale, je n’ai pas de chance. Voyez ce très grand monsieur au poil huileux qui ne s’est pas lavé depuis 7 jours ? En principe, c’est pour moi. Mais de quoi me plains-je : Alpha, ça lui a pris 18 mois pour faire 6.000 kms et on l’a renvoyé à son point d’origine sitôt qu’il a débarqué. Dans le pire des cas, mon calvaire ne durera que 8 heures. Et puis cette fois j’ai de la chance, monsieur 18G est tout grand lui aussi, mais il ne déborde pas sur mon siège et, à première vue, il ne sent pas mauvais. Jusqu’à ce qu’il s’endorme, sur commande, dès le décollage de l’avion. Alors c’est une bouche ouverte qui expire une haleine fétide dans ma direction. 8 heures durant.
Me voici à New-York, aéroport JFK. Monsieur JFK a été violemment abattu en novembre 1963. Depuis, la violence ne s’est jamais arrêtée aux USA : 1h de queue pour passer les contrôles de police, Mais de la sorte, le gouvernement américain est bien assuré que personne n’est venu pour assassiner Donald Trump ou commettre l’irréparable sur l’american soil.
Et surtout, n’oubliez pas de vous laver les mains après avoir déposé vos empreintes : eux portent des gants pour se prémunir de vos gales, mais vous, ce sont vos mains nues que vous posez sur leur vitre, une toute sale qui a vu passer des milliers de mains galeuses avant les vôtres.
Me voici donc à New York, côté rêve américain. Pourquoi fait-il encore jour alors qu’il est 23h à ma montre ? D’où me vient cette envie de dormir alors qu’il est 17h aux horloges de l’aéroport ? Prendre la train ou risquer un taxi ? Je risque le taxi. C’est samedi, à cette heure-ci la circulation sera fluide. Sauf que. 1h30 pour rallier mon hôtel, très joli au demeurant. Chauffeur adorable, et d’une telle dextérité qu’il est capable de rouler en même temps qu’il regarde un film sur son téléphone portable. Oh que j’ai détesté lui laisser un pourboire.
La nuit n’est pas finie. Comment se fait-il que j’aie envie de me lever alors que mon réveil n’affiche que 4h du matin ? Remember, Find your family tout à l’heure at noon. Quel noon ? Brookly Historical Society, avec David Small et Liana Finck, bordel il est temps de switcher à l’anglais. Une partie de mon cerveau s’est en effet connectée à cette langue quand toute petite, je vivais dans le Maryland. En Europe, ce bout de cervelle se déconnecte, s’ankylose, c’est toujours un peu douloureux de le rebrancher. Pour l’y aider, je descends prendre un petit déjeuner tout ce qu’il y a d’Américain : gaufre puissance 4, saucisses tout ce qu’il y a de douteux, scrambled eggs, pommes sautées, non merci pas de bagel, mais je prendrais volontiers 1/2 litre de décaféiné à la crème à la vanille, bon appétit, vous aussi.
My gosh, déjà midi, je retrouve Erika, mon éditrice US (mariée à un Français depuis 30 ans, comment elle fait ?). Des organisatrices en T-Shirt rouge nous escortent jusqu’à la Brooklyn Society, toute pompée sur Harry Potter, ou l’inverse. J’ai mis une jolie petite robe noire et j’affiche mon plus beau sourire, parce que le public, il vaut mieux le conquérir d’avance, surtout quand il est américain. Nous nous installons autour d’une table un peu surélevée, après tout nous sommes supérieurs. Pourtant, sans regarder notre audience de haut, nous commençons à répondre aux questions de la modératrice. Je ne m’entends pas parler, mais il semble qu’on me comprenne. Mes propos ont-ils vraiment du sens, au point que la troisième demoiselle du quatrième rang hoche la tête à tout ce que je raconte ?
Déjà fini ? Mais qu’est-ce que je fais au Pain Quotidien ? Le Pain Quotidien a émigré à Brooklyn ? Est-ce qu’il avait un visa ou est-ce que ça lui a pris 18 mois ? Quand est-ce que Donald Trump foutra à la porte ce bloody french fast-food ? Pourquoi Barack Obama n’a-t-il pas un prénom calendaire et chrétien ? Non mais pour qui ils se prennent ces Kenyans !
Mais ce n’est pas fini. Faire provision de Lucky Charms et de Beef Jerky, juste avant de rejoindre l’aéroport avec trois heures d’avance, des fois que les contrôles prendraient plus de cinq minutes. Bizarrement, sortir des Etats-Unis ne m’en prend que sept. Lavage de mains compris. Âme en peine, j’erre dans les allées du Duty Free en me rongeant les sangs : qui trouverais-je assis sur le siège 31B, à ma droite (j’ai pris le hublot). Le temps glue et, enfin me voici dans le très long couloir de cette bétaillère, je crois un Airbus A330. J’aperçois le rang 31, je devine un crâne chauve sur le siège 31B, j’avance. Plus j’avance, plus ce crâne me paraît ample. Le reste aussi. Monsieur 31B souffre d’un embonpoint sévère. Si sévère qu’il a du relever l’accoudoir central pour se sentir à l’aise. En d’autres termes, il déborde sur la moitié de mon siège, certes conçu pour les maigres. Pourquoi monsieur 31B n’est-il pas anorexique ? Il est heureux que les armes blanches ne soient pas autorisées en cabine. Je l’aurais massacré. Pourtant, j’ai adoré cette escapade américaine. Va comprendre…
Laisser un commentaire