Novembre est ce mois que j’exècre depuis qu’il m’a pris mon père. Temps de plaies rouvertes. Alors j’exhume ce texte à lui dédié, enfoui il y a quelques cinq ans dans mes bases de données.
De tristes motifs m’ont contrainte à prendre neuf avions et un bateau ces quinze derniers jours.
Quatre Boeings Ethiopian Airlines, agrémentés d’Hélène Rolles pour un vol aller, et de Jean-Christophe Rufin pour un vol retour, deux Boeings Air France, sans agréments, deux avions à hélices de Nationale Régionale Transport, équipés de pilotes sud-africains, un aéroplane non identifié d’Allegiance (je crois que c’était un Boeing, ma foi), et aussi le ferry de la SONAGA, société de navigation gabonaise.
Mes combinaisons aériennes et maritimes m’ont permis de rejoindre Port-Gentil, capitale plus que jamais économique du Gabon, depuis Paris, capitale plus que jamais abracadabrantesque de la France, en passant pas Addis Abeba, plate-forme plus que jamais tournante des voyages transcontinentaux. Avec Ethiopian Airlines, vous pouvez aller à Toronto en passant par Francfort et la Mecque.
Grâce à ces neufs avions et ce seul bateau, j’ai pu faire deux visites à mon père. Je lui ai rendu les hommages les plus intimes possibles, malgré la publicité de ses funérailles.
Papa, toi-même tu sais.
Bon.
Tourner la page.
Ces nombreux déplacements m’ont amenée à prendre trois bonnes résolutions.
1. Ne jamais prendre le bateau entre Libreville et Port-Gentil, surtout en cas de tempête. On s’imagine plus à l’abri dans un bateau que dans un avion. On se fourvoie. Dans un bateau, ça remue beaucoup plus, on vomit d’autant mieux. Et rien ne sert de s’échapper s’il se retourne. Les vagues librevilloises ne vous épargneront pas. Que les plus téméraires prennent donc, avant d’opter pour le bateau, conseil auprès des rescapés du Joola.
2. Eviter la ligne Addis Abeba-Libreville en haute saison de pèlerinage à la Mecque. Cet itinéraire revient deux fois moins cher que le vol Air France, mais les salles d’embarquement éthiopiennes sont envahies de faux musulmans gabonais. Nombreux sont les convertis de fraîche date, qui ont au préalable tenté le catholicisme, ou le clientélisme politique, et les voilà qui revêtent l’habit de l’Islam, comme Angelina Jolie a revêtu celui du bouddhisme. Ils se croient lavés de tout parce qu’ils sont allés à la Mecque. Mais ces Gabonais déguisés pêchent à coeur joie : aussi grossier que le franchouillard, ou que le touriste en troupeau s’en revenant d’un pèlerinage à Disney World, le Gabonais grimé en musulman vous bouscule dans l’escalator, vous grille la priorité devant la porte d’embarquement, vous pique votre coffre à bagages, vous filme avec sa mini caméra, vous éternue au visage, et pue des pieds.
Enfin, ma dernière résolution, la plus importante, sera de m’intéresser davantage au cinéma québecquois. Ne me demandez pas sur quel vol j’ai découvert Starbuck, j’ai oublié. Mais je vous recommande ce film, en particulier quand votre père est mourant. Parce qu’il en de la chance, votre père, lui n’a produit que six enfants. Starbuck, lui, a donné son sperme plus de cinq cents fois.
Alors tu vois papa, il y avait peut-être trop de monde près de ton cercueil, trop de faux hommages pour que ceux qui t’aiment puissent se recueillir. Mais imagine qu’en plus de ces délégations officielles, venues te couvrir de couronnes artificielles, tu aies eu 533 enfants ?
Toi-même tu sais.
Bon.
Tourner la page.
Je crois me souvenir de ce texte… Et je suis de tout cœur avec toi. Nous traversons de dures épreuves en ce monde. Est-ce que ces blessures cessent jamais de saigner ?