JâĂ©prouve un besoin urgent de rangement : un foutoir sans nom a Ă©lu domicile fixe dans le salon de mon appartement. Je dĂ©cide dâentamer une procĂ©dure dâexpulsion de ce bordel clandestin.
(Un extrait du roman « 53 cm »)
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« Peluches malodorantes, divers textiles made in Taïwan, par les enfants esclaves. Il y a aussi un tee-shirt made in les ateliers de confection des esclaves asiatiques made in Paris.
Jâallume la radio. VĂ©ronique Sanson chante quâelle nâa besoin de personne. Moi, jâai besoin dâun aspirateur. Je le dĂ©niche dans les toilettes ; ces mĂȘmes toilettes qui planquent parfois un autre outil de rangement : le charter. Je noue mes cheveux, que jâai dâailleurs magnifiques. Je ne comprends pas que les Ă©trangers qui ont de beaux cheveux soient expulsables ; mais dans le rĂšgne prĂ©fectoral, tout le monde se fout de la pilositĂ©.
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Une heure plus tard, jâai bien avancĂ© dans mon mĂ©nage : la maison de lâĂ©tranger ne pue plus ; jâai juste oubliĂ© de jeter mes poubelles par la fenĂȘtre. La porte sonne. Je lâouvre sur une jeune Blanche vanillĂ©e, nez Ă©crasĂ©, cheveux roux crĂ©pus, bouche rose cerise, en forme de banane. Elle porte un Ă©pais dossier :
â Bonjour ! Hermenondine Dumas, inspectrice Ă la Caisse dâallocations familiales. Vous avez demandĂ© une allocation ?
â Absolument. Mais entrez donc !
Jâai bien fait dâentamer ma procĂ©dure dâexpulsion de foutoir : elle pourra noter mon fort degrĂ© dâintĂ©gration. Elle entre, se penche pour voir ce que dissimule le fond de mon couloir. Rien. Elle regarde autour dâelle, sâarrĂȘte un moment sur la vieille girafe de Marie, et pousse un soupir de soulagement : oui, je suis vraiment cĂ©libataire ; oui, Marie est vraiment ma fille de six ans.
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Je lui offre une chaise bancale. Elle sort sa paperasse, me demande ma derniĂšre facture dâĂ©lectricitĂ©.
â Vous prendrez bien un kir, mademoiselle Dumas.
Elle allume une gauloise filtre. Je lui apporte son kir, lâaccompagne dâune biĂšre blonde et dâun Carambar. Elle me raconte sa biographie : son arriĂšre-arriĂšre-grand-mĂšre sâappelait AimĂ©e CĂ©sette. Elle exerça le mĂ©tier dâesclave mulĂątresse Ă HaĂŻti, entre 1762, lâannĂ©e de sa naissance, et 1806, lâannĂ©e de sa mort. Elle avait un frĂšre jumeau, Alexandre. Quand le pĂšre des jumeaux, un M. Davy de la Pailleterie mĂ©tropolitain, voulut quitter HaĂŻti pour rentrer en France, il vendit ses enfants mulĂątres et leur mĂšre nĂ©gresse Ă un planteur blanc, pour payer ses frais de voyage. Quelques annĂ©es plus tard, il racheta son fils, mais pas AimĂ©e, et encore moins leur mĂšre. Il donna son nom Ă Alexandre et le fit monter Ă la mĂ©tropole oĂč lâenfant affranchi devint gĂ©nĂ©ral bonapartiste et pĂšre dâAlexandre Dumas, lâauteur du Comte de Monte-Cristo et des Trois Mousquetaires.
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Câest fou cette histoire, les fonctionnaires seraient-ils donc des mammifĂšres comme les autres ?
Mademoiselle Dumas me glisse quelques conseils pĂ©cuniaires, mâavoue espĂ©rer que la CAF me donnera des sous. Câest fou.
Elle avale sa derniĂšre gorgĂ©e de kir, prĂ©pare son carnet, son stylo, et les dĂ©clarations que jâai remplies Ă leurs guichets :
â Vous vous nommez Zara S⊠Sem⊠Andock ; vous ĂȘtes nĂ©e Ă Bruxelles, dâune mĂšre suisse romande et dâun pĂšre fang gabonais ? Mais quâest-ce que vous faites en France ? »
La Suite !
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Corrosif, hein ? mais c’est bien đ
Petite maousse costaude !
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