En ces temps immémoriaux, cher Alexandre Dumas, je vis comme les citadogènes. Je participe à leur quotidienneté, malgré les nausées de la grossesse.
J’observe ton peuple sans interférer, car un observateur civilisé est invisible à l’oeil nu des indigènes, et à l’oeil habillé des citadogènes.
Un petit bout de 53 cm.
Un matin, je me trouve assise sur le petit banc vert d’un pont gaulois, rue de Noisy-le-Sec. Moutete, ma fidèle hotte de portage gabonaise, est couchée à mes pieds. Je médite les rites et croyances de ton peuple, Alexandre. Bien sûr, il ne s’agit pas de dire ce que je pense des Gaulois, mais ce que vous pensez de vous-mêmes. Telle est la grande mission de l’ethnologie. Pour cette raison, Alexandre, tu n’auras pas la parole.
Tu le sais, au commencement du temps, il y a sept ans, j’habite chez ma soeur Ninon, dans ton village, Île-de-France. Île-de-France est très semblable aux villages argonautes des îles Trobriand, situées au large de l’Australie. Elle se divise en deux anneaux : Paris, anneau central et sacré, centre de la vie civile, et Banlieue, anneau périphérique et profane, lieu de la vie sauvage.
Je suis assise sur mon banc, caressant mon fidèle Moutete, quand un homme albinos, grand et maigre, vient se coucher à côté de moi. Son visage est couvert d’acné, bien qu’il paraisse avoir plus de quarante ans. Il porte une bouteille en verre dans la main droite :
— Je m’appelle Albin, Michel, Théophile ; je suis clochard d’origine laïque, républicaine, et homosexuelle.
— Zara, future gaulologue au Collège de Papouasie. J’étudie les moeurs de ton peuple. J’ai ouï dire que les jeunes sauvages de Banlieue appartenaient à des ethnies païennes. Dis-m’en plus.
— À condition que tu me vouvoies.
Je hoche la tête.
— Les Jeunes, dit-il d’une voix pleine de sollicitude, ne sont pas des païens ; l’enfant, comme le sauvage, est idiot, certes. Mais il peut quitter la barbarie en s’initiant à l’âge d’homme, dans une maison de correction.
— Ces initiations comportent des rites de circoncision ? Ou d’excision ? Ou de corsetage ?
Théophile se redresse, et s’assied bien droit sur le banc :
— Circoncir ? Corseter ? Jamais ! La république est une et indivisible : toi et moi sommes confondus, mais faudrait quand même pas nous confondre. C’est écrit.
— On dit que la Gaule est une confédération semi-sédentaire de clans. Qu’en pensez-vous, cher informateur ?
— Tu blasphèmes. Serais-tu d’origine immigrée ?
— Je suis indigène, cher citadogène.
— Je vois… Sais-tu que, grâce à la naturalisation, tu peux, comme nous autres Gaulois d’origine originelle, quitter l’histoire des migrations pour pénétrer le mythe de la souche ? La naturalisation, le droit du sol, permet l’acclimatation durable de toute espèce importée en terre gauloise, même les espèces inférieures d’origine immigrée. Assimile-toi à nous, chère enfant : élève-toi à notre rang.
— Naturalisation ? L’État de Nature ? La primauté du sang fait donc partie des mythes de souche gaulois ?
— Tu n’as pas compris, je parle du droit du sol, du terreau, de la souche.
— Vous parlez d’horticulture ? De rameaux montandonniens ?
— Comment ? Je ne comprends pas. Enracine-toi simplement dans la race gauloise mon enfant, car la Race et la Raison ont la même racine, Ratio. Le racisme est rationnel et cartésien, la Raison et la Race dirigent le monde ; ils sont le moteur de l’Histoire universelle.
— Excusez-moi. Je vomis et je reviens.
Je m’exprime derrière le banc et reviens à Théophile :
— Je suis grosse de trois mois, maudites nausées primipares… J’en sais assez de l’horticulture gauloise. Racontez-moi le culte des ancêtres. J’ai entendu parler d’un général mythique appelé de Gaulle.
— Mythique ? Ce n’est pas un héros légendaire, il a vraiment existé.
— Alors il est historique ?
— Absolument.
Bien entendu, Théophile se fourvoie. Cependant Alexandre, sache qu’un bon ethnologue ne contrarie jamais un informateur ; il garde simplement à l’esprit la distance entre l’idéal de la morale tribale et les faits de la vie réelle, qu’il révèle au monde évolué
On s’offre la suite de 53 cm !
Zara, future gaulologue au Collège de Papouasie
La primauté du sang fait donc partie des mythes de souche gaulois ?
Racontez-moi le culte des ancêtres. J’ai entendu parler d’un général mythique appelé de Gaulle
Petit mais costaud !