Cher petit. Intégriste de la procréation, je viens d’accoucher de toi, 710829 signes espaces compris, 299 pages fripées, et une petite tache de naissance en couverture. Tu es si joli, mon petit manuscrit en sucre…
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Tu es mon huitième, mon neuvième, mon dixième ? Passé un certain stade, on ne compte plus ses enfants. C’est vrai, tu n’avais rien demandé, surtout pas à naître. Pas d’histoires, s’il te plaît : assume, et ne t’euthanasie pas. À ton corps défendant, tu seras le livre de plus que j’infligerai à la société. Elle me doit bien ça, cette truie.
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Honore donc ta mère et ta mère, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternelle, ta Dieue, te donne. C’est la bible qui l’a dit, alors obéis.
Pas facile, morveu ! Je t’ai porté dix mois, sans compter l’espace occipital que je t’ai dédié. Longtemps, tu as colonisé mon esprit. Par ta faute, j’ai bu des litres de déca, mangé huit kilos de chocolat, fumé cinquante-sept cigarettes électroniques ! Je me suis même infligé trois cent litres du jus de carottes, j’ai perdu cinq point de dioptrie, myope comme une taupe. Et ma vie sociale, dévastée.
Gestation, moment d’exception où l’écrivain se sent protégé. Honore moi, ou crève.
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A peine né que ça commence déjà à vous emmerder : cette sensation de vide intérieur, votre gorge nouée, le retour à la réalité, insurmontable. Syndrome du book blues, qui touche 53,4% des écrivains après l’accouchement (source : guide-bébé-maman.org). Il se manifeste au troisième jour, et si vous ne faites rien, c’est la chute, dépression post-scriptum, maladie d’auteur proche du Syndrome de Stress Post-Traumatique qu’on observe chez les soldats américains. Mais pas chez les enfants irakiens. Que d’ailleurs il faudrait stériliser. A tous points de vue. En particulier, du point de vue de la verge et du point de vue la plume.
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Mais voilà, je suis mère à nouveau, engagée dans ta vie, petit manuscrit, jusqu’à ta majorité, 70 ans (après ma mort).
Que d’embûches sur ton chemin : convaincre l’état civil des livres que tu mérites d’exister. Prépare-toi à tout entendre ! « Votre petit ne serait-il pas un peu trop hybride, dans le genre ? » Absolument, tu es trop hybride dans le genre. L’hybridation guette le monde de l’édition. Prends les éditions du Seuil : déménagées de l’autre côté du périphérique.
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De Saint-Germain des prés aux quartiers chinois de la porte d’Italie, il y a un monde obscur, mon petit.
Prépare-toi à la riposte de l’état civil des livres : oui, bon, d’accord, mais comment défendre votre texte, du point de vue de la littérature africaine ? Où se situe-t-il, dans la littérature francophone ?
Ah, le bougre campe sur ses clichés ! Et les journalistes négrophiles, mon petit, ce sera pire ! Tu leur rappelleras que les écrivains blancs naissent aussi dans les champs de vanille… et que personne n’a jamais voulu les exclure de la francophonie ! Qui a dit qu’elle était réservée aux Niakwés !
Et la République se décolore la diversité.
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Alors, petit, il est pas joli le monde où je t’emmène ? Tu vas lui dire à l’officier d’état civil des livres : oui, je mérite d’exister car suis une livre brûlant d’actualité, je suis plein de sulfure actuel, vous voyez, d’ailleurs on parlait justement de mon sujet l’autre soir chez Ruquier, tout le monde en parle ce soir ou jamais, c’est sûr, on n’est pas encore couchés, je suis pile poil dans la ligne éditoriale qu’y faut, je suis photogénique, qu’on m’enregistre !
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Et miracle, tu seras répertorié, en bonne et due forme légale, dans les répertoires de la Bibliothèque Nationale, celle de France, de Suisse, et même celle du congrès américain. Au passage, tu leur feras remarquer que tes frères et sœurs, on les trouve à Harvard et au MIT, et tiens prends toi ça dans ta gueule !
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D’accord mais… quel message portez-vous sur votre communauté ? Ne seriez-vous pas un peu islamophobe, antisémite, raciste et homophobe sur les bords ? Vous ne seriez pas anti-féministe ? Qu’est-ce que vous avez contre les boiteux ?
Félicitations et longue vie à ce petit 🙂
Félicitations et longue vie à ce petit 🙂
Un livre de plus et vous ne pourrez plus vous pesez.
JNVSTP
Un livre de plus et vous ne pourrez plus vous pesez.
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