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Bessora

Tendre peau de vache

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Ruines. Un Extrait De Petroleum.

avril 29, 2013 par Bessora 2 Comments

D’un cĂŽtĂ© de la route, les marĂ©cages s’étendent  sur des centaines de mĂštres jusqu’à une longue procession de palĂ©tuviers lugubres. Sinistres et gais bordels Ă  poissons : ils s’accouplent furieusement parmi les racines aĂ©riennes oĂč s’agrippent des passereaux couleur sang, pareils Ă  des larmes rouges sanglotĂ©es dans la  mangrove.
C’est le Temps qu’ils pleurent.
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Petroleum

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De l’autre cĂŽtĂ©, une gigantesque demeure, moderne, caricature le style colonial.
–  C’est l’hĂŽtel, pense MĂ©dĂ©e, apercevant la plage dans son prolongement.
Elle se prĂ©pare Ă  descendre du taxi, mais il ne s’arrĂȘte pas.  Ils ne sont pas encore arrivĂ©s. La maison coloniale n’est pas un hĂŽtel mais la rĂ©sidence secondaire d’un privilĂ©giĂ©. A cĂŽtĂ© d’elle,  un autre palace,  long Ă©difice dĂ©crĂ©pi avec terrasse sur le toit et jardin somptueux, lance des regards Ă©perdus tantĂŽt vers la plage idyllique et ses sages cocotiers, tantĂŽt vers la vase aux oiseaux et un petit chantier naval abandonnĂ© au bord de la route.
Le taxi roule lentement. AprĂšs le chĂąteau au toit plat et le chantier livrĂ© aux boues, maison bleue couchĂ©e sur la plage,  et puis une plantation de bananes, et un camp de pĂȘcheur avant  enfin, le bout de la route en impasse. Parking sans voitures.
– C’est là ? s’étonne MĂ©dĂ©e.
– Oui. Mais c’est fermĂ© depuis longtemps, madame.
Sa course payĂ©e, le taxi rebrousse chemin sans se hĂąter. Devant MĂ©dĂ©e, une armĂ©e d’arbrisseaux brandit ses feuilles acĂ©rĂ©es pour barrer la route de la plage. Elle protĂšge aussi une petite riviĂšre Ă  l’entrĂ©e de laquelle se trouve une Marina. DerriĂšre des grappes de fleurs pourprĂ©es, MĂ©dĂ©e devine les coques accouplĂ©es d’un catamaran ; la blancheur d’un voilier lui apparaĂźt entre les touffes des arbustes, et, au dessus des larges feuillages d’arbres aux branches enchevĂȘtrĂ©es,  elle voit poindre des mats.
Mais le rĂšgne vĂ©gĂ©tal,  qui garde si jalousement les secrets de l’eau,  du sable et de la Marina, Ă©vente celui des ruines de l’hĂŽtel Neng A MbĂ© MbĂ©.

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John Armstrong, Phoenix, 1938
John Armstrong, Phoenix, 1938

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Parfois, la nature fĂ©conde les ruines et une fleur peut germer au milieu des dĂ©combres ; les ruines de Neng A  MbĂ© MbĂ© ont, elles aussi, conviĂ© la semence de toute vie,  mais mĂȘme la mauvaise herbe a refusĂ© l’invitation.
Médée contemple les restes du complexe hÎtelier.
Ses fenĂȘtres sans carreaux sont comme des regards vides.  En s’approchant, MĂ©dĂ©e perçoit son appel silencieux. Il lui tend les bras, comme ces roches sentimentales qu’elle entend mĂȘme quand elles ne parlent pas.
Serait-ce dans ces ruines que Louise aurait trouvé refuge ? Et Jason ? Qui viendrait les chercher ici ?

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Le Lorrain (1647)
Le Lorrain (1647)

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Les restes de deux grands bĂątiments forment les vestiges de Neng A MbĂ© MbĂ©. Le plus grand,  longue flĂšche de bĂ©ton blanc parcourue de madriers, regarde vers la mer. MĂ©dĂ©e compte les fenĂȘtres ouvertes sur la façade Est : quarante fenĂȘtres sans vitres : quarante yeux crevĂ©s par des bourreaux invisibles.
Sur trois niveaux et deux façades, cela fait cent-vingt chambres. Comment  retrouvera-t-elle Jason, ou Louise, dans cent-vingt chambres,  quand nul rĂ©ceptionniste, si ce n’est son fantĂŽme,  ne pourrait la guider ? Et mĂȘme
 Le tĂ©lĂ©phone a du ĂȘtre coupĂ© depuis
 depuis combien de siĂšcles ? Les annĂ©es qui se sont Ă©coulĂ©es depuis l’abandon de cet hĂŽtel, vers 1990, ont commis les outrages d’un siĂšcle. Un siĂšcle d’érosion. Un siĂšcle de dĂ©luge.

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Guillaumin. Ruines dans le brouillard Ă  Crozant. 1894
Guillaumin. Ruines dans le brouillard Ă  Crozant. 1894

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Curieuse sensation d’ĂȘtre une voyageuse du futur, ou une archĂ©ologue  sur les traces d’une civilisation disparue. MĂ©dĂ©e s’engage sur le perron du plus petit des deux bĂątiments.
ArrivĂ©e en haut des trois escaliers du perron,  aucune poignĂ©e Ă  ouvrir : la porte d’entrĂ©e a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© arrachĂ©e. Elle pĂ©nĂštre dans une petite piĂšce, Ă  ciel ouvert. Du toit, il ne reste que la charpente. Les plaques d’ardoise qui autrefois le couvraient sont tombĂ©es sur le sol. Eparses, brisĂ©es, et lessivĂ©es par les trombes d’eaux qui se sont dĂ©versĂ©es de saison des pluies en saison des pluies,  elles reposent Ă  mĂȘme la chape de ciment.
Ce sol était-il habillé de marbre,  de carrelage ou de moquette ?
Un jour, les dĂ©bris de l’ardoise se mĂȘleront au bĂ©ton et de ce mĂ©lange naĂźtra  un nouveau matĂ©riau.
Et voilĂ  MĂ©dĂ©e errant dans les vestiges du passĂ©, apprĂ©hendant, depuis les temps reculĂ©s des annĂ©es 1990, les activitĂ©s de l’homme, ses comportements sociaux dans l’hĂŽtel Neng A MbĂ© MbĂ©.

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Vestiges
Servandoni. Galerie en ruines. Vers 1760.

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Autre chambre. Un berlingot de jus d’orange traĂźne sur le sol,  ses couleurs ont disparu ravagĂ©es par trop  de soleil et de pluie. Un peu plus loin, une bouteille de whisky, vide, debout sur la dalle se tient le plus droite possible. Elle ne doit pas ĂȘtre bien ĂągĂ©e, sinon, elle serait dĂ©jĂ  tessons et  miettes de verre. Alors, Jason se dĂ©saltĂ©rait-il dans le coin de cette piĂšce, il y a quelques jours, quelques heures ?
Elle ne l’a jamais vu boire de whisky.
Mais Louise, peut-ĂȘtre ?
Et comment s’éclairent-ils la nuit, Jason, Louise ou qui que ce soit d’autre ? Et oĂč sont-ils maintenant ?
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Arman
Arman

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Devant elle, le cadre d’une fenĂȘtre offre une vue agrĂ©able sur la Marina. Une pirogue silencieuse vogue entre deux voiliers immobiles. Debout Ă  l’arriĂšre, un homme enfonce une longue perche dans l’eau pour prendre appui sur le fond et pousser  sa barque en avant.
La marée est basse.
Le sable est nu sous l’eau transparente.
MĂ©dĂ©e n’a pas le temps de s’émouvoir sur le prĂ©sent car un craquement Ă©trange l’appelle Ă  l’étage.  Elle s’embarque sur l’escalier et au seuil du second niveau,  elle manque de trĂ©bucher sur deux boites de NescafĂ©s, vides, posĂ©es Ă  terre non loin  d’un carton, vide lui aussi bien qu’étiquetĂ© «  Mayor, bouteille d’huile raffinĂ©e ».
PiĂ©tinant toujours l’ardoise qui cĂšde sous ses pas, elle entre dans une nouvelle piĂšce. Au beau milieu d’un pan de mur gris oĂč la peinture s’écaille, elle aperçoit un magnifique tableau. Dans un cadre immense, une grande image figure un bord de mer irrĂ©el.
Quand a-t-on pris cette photo ?
OĂč a-t-on pu trouver vision si apaisante ?
Est-il possible qu’un paysage dĂ©gage une telle sĂ©rĂ©nité ?
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Arman 2
Arman. Concerto pour Munich n°1. 1963

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HypnotisĂ©e par l’image, elle s’en approche.
Comme le photographe a bien saisi le souffle du vent sur les herbes hautes.
Et ces cocotiers penchĂ©s vers le sable comme s’ils voulaient Ă©chapper Ă  leur blanche clĂŽture.
Et ce ciel azurĂ© comme la mer trop bleue, oĂč des vaguelettes indĂ©centes ondoient de voluptĂ©.
Et l’ocĂ©an qui contemple cet enfant debout sur le sable.
Médée tend les bras pour toucher.
Elle manque de tomber par la fenĂȘtre.
Et dĂ©jĂ , l’enfant se remet Ă  courir dans le sable.

Une fenĂȘtre
 c’était juste une fenĂȘtre ouverte sur une rĂ©el illusoire.

Derriùre elle,  craquement de l’ardoise, on jurerait des pas.

La Suite de Petroleum Ă  la Margouline logo-transport

 

Filed Under: Bouts de Romans & Critiques

Reader Interactions

Comments

  1. François Prunier says

    avril 29, 2013 at 11:53 am

    Du grand Bessora ! IdĂ©al pour commencer…

    Répondre
  2. François Prunier says

    avril 29, 2013 at 11:53 am

    Du grand Bessora ! IdĂ©al pour commencer…

    Répondre

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