Deux mains potelées soutiennent un ventre qui rebondit sous une vieille salopette.
â J’accouche, Docteur.
â Pardon ?
â Je mets bas.
â Â Excusez-moi, j’entends mal.
.
.
Un rouge Ă lĂšvres bleu scintille sur ses lĂšvres. Il est assorti Ă la couleur de ses yeux, de ses bottes, de ses gants. Elle baisse les bretelles de sa sympathique salopette.
â J’ai du plomb dans le ventre. J’ai commandĂ© une pĂ©ridurale. Monsieur ?
â AnguilĂš. YĂ©no AnguilĂš.
YĂ©no AnguilĂš, c’est moi.
J’accouche les femmes qui ont du plomb dans le ventre. Quand une femme enfante avec moi, j’ai l’illusion de rejouer mon passĂ© ; la tĂȘte du bĂ©bĂ© paraĂźt, et je me vois au mĂȘme Ăąge : ma naissance se dĂ©roule sous mes yeux. Oui, je vous aide Ă m’engendrer, et cette fois, vous ne partez pas. L’enfantement est pour moi une sorte de rite qui me ramĂšne Ă mes origines, sauf que je voudrais changer l’histoire.
Celle de mes oreilles, en particulier.
Mes oreilles sont les premiers tĂ©moins de votre disparition : aprĂšs votre dĂ©part, elles se sont mises Ă siffler, Ă bourdonner, Ă chuinter. Seulement je ne parle pas le Chuin. Depuis trente-huit ans, un message tinte dans mon oreille interne et je n’arrive pas Ă le traduire.
Je n’ai jamais rien pu faire contre mon acouphĂšne.
.
.
La femme bleue soulÚve son pull chaussette, exhibe un bout de chair strié de vergetures :
â Ăa a craquĂ© il y a quinze jours ; je suis la femme- zĂšbre. Ăa me gratte, je n’en peux plus, monsieur.
â Vos vergetures resteront. Ăa vous fera des souvenirs.
â J’en parlerai Ă mon dermato. Vous m’installez pour la pĂ©ridurale ?
Je n’ai plus de place.
Ajoutons Ă ce sinistre tableau deux mĂ©decins absents. Le premier, un Ă©chographe, est prisonnier d’une rame de mĂ©tro : grĂšve surprise des transports en commun. Le second, un gynĂ©cologue, est coincĂ© dans un embouteillage monstre consĂ©cutif Ă cette grĂšve.
Et moi, je suis lĂ .
J’entame ma trente-deuxiĂšme heure de garde.
Je sature.
AprĂšs tout, je suis un ĂȘtre humain.
Mes oreilles aussi.
L’auraient-ils tous oubliĂ© ?
.
.
La femme bleue montre une ligne brune qui parcourt son ventre du pubis Ă l’estomac en passant par l’ombilic :
â Ce trait coupe mon ventre en deux. Et mon nombril ? Voyez comme il ressort. Pourquoi moi?
â Parce que. C’est comme ça.
Le rouge lui monte aux joues. Je demande pardon :
â Excusez ma mauvaise humeur : c’est mon anniversaire.
â Joyeux anniversaire, monsieur.
19 fĂ©vrier, je ne t’ai jamais cĂ©lĂ©brĂ©.
19 février, ma naissance, ma déchéance.
J’ai trente-huit ans. Vous en aviez dix-sept quand vous ĂȘtes partie. Dix-sept et trois semaines ; je pourrais ĂȘtre le pĂšre de celle qui m’a abandonnĂ©. Je pourrais ĂȘtre grand-pĂšre.
Trente-huit ans. En trente-huit ans on peut abandonner 2,222222222… fois. En doutez-vous ? Je peux vous le prouver mathĂ©matiquement : 38/17,1 = 2,222222222… Vous me croyez maintenant?
Certes, pour abandonner 2,22222222222… fois en trente-huit ans, il faut le faire tous les dix-sept ans. Et trois semaines.
Il faut se dĂ©pĂȘcher alors.
.
.
La femme bleue compte sur moi :
â J’ai peur. Vous serez une mĂšre pour moi, n’est-ce pas, monsieur ?
â Non. Ma mĂšre m’a abandonnĂ©, figurez-vous.
â C’est pas vrai, monsieur…
â Si. Mon horloge biologique a sonnĂ© dix-huit coups et ma mĂšre s’est envolĂ©e. Disparue en fumĂ©e. Quelques heures aprĂšs ma venue au monde, le 19 fĂ©vrier 1964, elle partait avec l’homme qui l’avait accouchĂ©e dans des circonstances que je finirai bien par rĂ©vĂ©ler, un jour.
â Votre mĂšre a Ă©tĂ© accouchĂ©e par un homme ?
â S’il avait Ă©tĂ© une femme, ma mĂšre ne serait pas partie avec lui.
Oh oui, UtĂ©rus chĂ©ri, comme vous deviez l’aimer pour nous abandonner ainsi, mon pĂšre, ma sĆur et moi.
Mais je voudrais vous connaĂźtre pour entendre mieux.
Elle sourit, ouvre la bouche pour dire une broutille, mais une contraction lui coupe la chique. Les yeux fermés, elle appuie ses mains contre le mur, souffle, se mord les lÚvres, mange son rouge bleu. Le temps ralentit, se suspend à son ventre, attend que ça passe.
Un sourire silencieux, une confidence ou deux : C’est mon premier bĂ©bĂ©. Je ne vous ai jamais vu en consultation, Docteur. Vous travaillez ici depuis longtemps ?
Mon bras droit se tend vers elle. Sur ma manche, un brassard décline mon identité professionnelle :
Sage-Femme en GRĂVE.
â Sage-femme, monsieur?
â Â Ma vocation m’est apparue vers l’Ăąge de trois ans. Comme une Ă©vidence. Sage-femme sinon rien.
â Pourquoi ĂȘtes-vous juste sage-femme, monsieur ? Vous auriez fait un obstĂ©tricien formidable.
â Allongez-vous lĂ , Myrtille, je vais voir oĂč en est votre col.
.
.
â Franchement… Pourquoi on est sage-femme quand on est homme ?
â Pour changer le cours de l’histoire. L’histoire en gĂ©nĂ©ral et mon histoire en particulier.
On sâoffre la suite de âDeux BĂ©bĂ©s Et L’Additionâ, ici !
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Soeur Tout Sourire says
Ah, le miracle de la naissance ! Dieu ! Dieu !
Soeur Tout Sourire says
Ah, le miracle de la naissance ! Dieu ! Dieu !
Lecteur Ă Lunettes says
Voyez cette plume originale, alerte, ce ton léger et drÎle !
Calimity Marie says
Moi j’aime surtout la belle photo du poulet dĂ©plumĂ©!!!
Ă poil! Ă la casserole!
Lecteur Ă Lunettes says
Voyez cette plume originale, alerte, ce ton léger et drÎle !
Calimity Marie says
Moi j’aime surtout la belle photo du poulet dĂ©plumĂ©!!!
Ă poil! Ă la casserole!
Amélie Nono says
Le titre est excellent, aussi !
Calimity Marie says
Celui du bouquin est top et celui de cet article aussi!
Amélie Nono says
Le titre est excellent, aussi !
Calimity Marie says
Celui du bouquin est top et celui de cet article aussi!
Margaret Lamakrel says
Les grĂšves, les Ă©migrĂ©s, le mauvais Ă©tat d’esprit… toute la france, so what ?
Margaret Lamakrel says
Les grĂšves, les Ă©migrĂ©s, le mauvais Ă©tat d’esprit… toute la france, so what ?
Marine Nationale says
Et la sĂ©cu, aussi, pfff…
Marine Nationale says
Et la sĂ©cu, aussi, pfff…
Jean-Luc MĂ©lange-Tout says
Oui, la SĂ©cu, parfaitement !
Jean-Luc MĂ©lange-Tout says
Oui, la SĂ©cu, parfaitement !
Françoise Rady says
Ca Ă l’air bien, mais c’est la crise, les gens se rendent pas compte, nous les artistes, on est trop taxĂ©s, alors j’achĂšte pas « Deux bĂ©bĂ©s et l’addition »
Lecteur Ă Lunettes says
Vous avez tort, madame Rady, il est d’autant plus nĂ©cessaire de s’Ă©vader et de lire de belles choses que c’est la crise, justement !
Françoise Rady says
Ca Ă l’air bien, mais c’est la crise, les gens se rendent pas compte, nous les artistes, on est trop taxĂ©s, alors j’achĂšte pas « Deux bĂ©bĂ©s et l’addition »
Lecteur Ă Lunettes says
Vous avez tort, madame Rady, il est d’autant plus nĂ©cessaire de s’Ă©vader et de lire de belles choses que c’est la crise, justement !
Frigide Fardeau says
Encore un texte pédophile, avec un titre pareil !
Moi, je suis contre le mariage gay ! Je suis pour le droit des enfants à avoir un papa et une maman, gnagnangnan, depuis Jospin et le pacs, les homosexuels ça poussait déjà comme des fleurs, et maintenant cette mauvaise herbe convoite nos enfants ! Je suis déçu que vous mangiez de ce mauvais pain là , Madame Bessora !
Frigide Fardeau says
Encore un texte pédophile, avec un titre pareil !
Moi, je suis contre le mariage gay ! Je suis pour le droit des enfants à avoir un papa et une maman, gnagnangnan, depuis Jospin et le pacs, les homosexuels ça poussait déjà comme des fleurs, et maintenant cette mauvaise herbe convoite nos enfants ! Je suis déçu que vous mangiez de ce mauvais pain là , Madame Bessora !
Lecteur Ă Lunettes says
Ah, quelle visionnaire ! Bessora, en avance sur son temps !
Lecteur Ă Lunettes says
Ah, quelle visionnaire ! Bessora, en avance sur son temps !
PĂšre AustĂšre says
Il me semble l’avoir dĂ©jĂ dit : « Les enfants, c’est de la merde ! ».
Si j’avais Ă©crit ce livre, je l’aurais intitulĂ© : « Deux Ă©trons et l’addition » !
Bernard Pivotant says
Avec ça, vous auriez été loin, cher monsieur, pas de doute !
PĂšre AustĂšre says
Il me semble l’avoir dĂ©jĂ dit : « Les enfants, c’est de la merde ! ».
Si j’avais Ă©crit ce livre, je l’aurais intitulĂ© : « Deux Ă©trons et l’addition » !
Bernard Pivotant says
Avec ça, vous auriez été loin, cher monsieur, pas de doute !
Hector Ballot says
Bah ! Elle a bien fait de l’abandonner !
Hector Ballot says
Bah ! Elle a bien fait de l’abandonner !
Marine Nationale says
L’enfant d’un viol sans doute… Ou pire, un hybride colorĂ© !
Marine Nationale says
L’enfant d’un viol sans doute… Ou pire, un hybride colorĂ© !
Lecteur Ă Lunettes says
Lisez, et vous saurez !
Lecteur Ă Lunettes says
Lisez, et vous saurez !
Calimity Marie says
Ahhhhhh bravo le lien mercantil!
Je kiffe!
Top!
Et je passe commande!
BIZ
Calimity Marie says
Ahhhhhh bravo le lien mercantil!
Je kiffe!
Top!
Et je passe commande!
BIZ
le vrai et seul Bruno says
Encore un livre, dĂ©cidĂ©ment vous ne faites qu’Ă©crire. Ne vous arrive-t-il pas, de temps en temps, de sortir et rencontrer ainsi vos congĂ©nĂšres. Toutes les femmes ne sont pas des poules assises dans leur baignoire. Je ne comprendrai donc jamais ce que vous essayez d’exprimer sur votre « blog ». JNVSTP.
le vrai et seul Bruno says
Encore un livre, dĂ©cidĂ©ment vous ne faites qu’Ă©crire. Ne vous arrive-t-il pas, de temps en temps, de sortir et rencontrer ainsi vos congĂ©nĂšres. Toutes les femmes ne sont pas des poules assises dans leur baignoire. Je ne comprendrai donc jamais ce que vous essayez d’exprimer sur votre « blog ». JNVSTP.