(première publication en 2024, édito du bulletin du SNAC n°157)

C’est l’histoire d’un auteur qui se fait avoir deux fois, avant de comprendre où est son intérêt
La première fois, c’est au cours du printemps 2020, quand il entend parler, sur les réseaux sociaux, d’une intersyndicale qui exige l’application [1] :
Auteurs ! Signez la pétition pour des élections professionnelles afin de désigner vos représentants au Centre National des Artistes-Auteurs ! Exigeons la démocratie sociale !
La pétition en question est relayée par un tas d’auteurs hyper connus, hyper sympas. Alors, comme des milliers de personnes, Samba signe la pétition les yeux fermés.
Sauf qu’il a oublié de lire les 141 pages du rapport Racine et surtout la page 56 qui dit : « La question se posera donc de savoir qui peut participer aux scrutins. » Pas lui. Parce que Samba fait partie des 95 % d’auteurs du livre qui gagnent moins de 9 000 euros de droits d’auteur par an. Merde alors ! C’est un suffrage censitaire ? Pourquoi l’intersyndicale ne l’avait pas dit ! On ne l’y reprendra plus ! Finalement, les élections pro passent à l’as.
La deuxième fois qu’il se fait avoir, c’est en 2024, quand il entend parler, sur les réseaux sociaux, d’un revenu de remplacement pour les auteurs :
Auteurices ! Signez la pétition pour la continuité de revenu des auteurices afin de vous garantir une protection sociale sociale complète ! Exigeons les mêmes droits que les salarié•es !
La pétition en question est relayée par un tas d’auteurs hyper connus, hyper sympas. Alors, comme des milliers de personnes, Samba signe la pétition les yeux fermés.
Sauf qu’il a oublié de lire la proposition de loi.
Transpartisane, elle finit par être votée. Un décret d’application plus tard, elle est mise en place. Puis, contrairement à ce qu’il avait cru comprendre, Samba doit finalement cotiser au chômage : 2,5 %. Bon… Après tout c’est normal, et puis ce n’est pas grave, puisque que, comme lui a expliqué l’intersyndicale, sa cotisation lui permettra de toucher 15 000 euros d’allocations chômage par an.
15 000 euros, pour lui, c’est énorme !
Comme la majorité des auteurs du livre, il touche moins de 2 000 euros de droits d’auteur par an. Et il n’a pas de conjoint pour faire bouillir la marmite. En plus il est père célibataire. Alors évidemment, pas le choix, il multiplie les petits boulots précaires pour boucler à peu près le budget. Ces 15 000 euros lui sauveraient la vie !
Confiant, il se présente au guichet de France Travail avec tous ses justificatifs. Sauf que la dame chargée de l’indemnisation lui dit :
– Vous n’avez pas droit au chômage des auteurs, Monsieur.
– Mais si, j’ai droit à une protection sociale complète !
– Non Monsieur, le chômage des auteurs n’est pas comme le chômage des salariés.
– Mais j’ai signé la pétition !
– Peut-être, Monsieur. Mais qu’est-ce que j’y peux si le chômage des auteurs est sélectif ?
Pour résumer, ce chômage est réservé aux auteurs qui peuvent justifier d’un revenu artistique supérieur ou égal à 3 495 euros (300 heures SMIC chiffre 2024).
Vu de l’extérieur, ça a l’air de rien du tout 3 495 euros.
Sauf que la plupart des auteurs n’atteignent pas ce seuil. Si l’on en croit les travaux de l’observatoire des revenus et de l’activité des artistes-auteurs, près des trois-quarts des auteurs seraient en-dessous ! Merde alors ! Donc Samba cotise pour un droit qu’il ne touchera jamais ? Eh oui… Mais si ça peut le consoler, les cotisations qu’il paie financent le chômage des auteurs qui s’en sortent mieux que lui.
Dépité, Samba rentre chez lui. Merde alors… Comment n’a-t-il pas vu que la loi sur le chômage des auteurs était élitiste, discriminatoire, corporatiste ? Il aurait mieux fait de militer pour le revenu universel !
Malheureusement, Samba n’est pas au bout de ses surprises. Quelque temps plus tard, il s’aperçoit que ses droits d’auteur ont diminué de moitié : lui qui touchait 2 000 euros à peu près, n’en touche plus que 1 000 ! Son éditeur a divisé ses droits par deux. Furieux, il prend son téléphone et l’éditeur lui répond :
– Écoute mon vieux, j’y peux rien, il faut que je finance le chômage des auteurs.
Samba n’avait pas fait attention quand il a signé la pétition mais, en effet, les cotisations des diffuseurs ont augmenté : elles sont passées de 1,1 % à 5,15 %, de manière à financer le chômage des auteurs qui peuvent en profiter. Franchement, s’il avait su, Samba aurait milité pour le revenu universel ET pour qu’on augmente les cotisations des diffuseurs, oui, MAIS au bénéfice de TOUS les auteurs ! Des aides à la création par exemple ? Ça il y aurait peut-être eu droit ?
De plus en plus dépité, Samba va boire un coup chez Denis, un ami auteur. Et qu’est-ce qu’il apprend ? Denis touche le chômage des auteurs ! Incompréhensible, surtout que Denis ne travaille plus depuis 2018, date de publication de son dernier livre, qui portait sur la culture du tabac et qui s’est écoulé à 350 exemplaires. Depuis, Denis n’a pas écrit une ligne. Alors comment il fait pour justifier de son droit au chômage des auteurs alors qu’il n’est plus vraiment auteur depuis six ans ?
Pris de compassion pour Samba, Denis le rassure et lui fait une double recommandation :
– Commence par adhérer à une organisation professionnelle de l’intersyndicale. Et fais en sorte de te faire payer des indemnités de représentation par ton orga. Et par toutes les instances où tu siégeras.
En effet, apprend Samba, l’intersyndicale a milité pour que les indemnités de ses représentants soient des revenus artistiques.
– Comme les sénateurs qui se votaient des super retraites autrefois ? s’étonne Samba.
Pas du tout. Là, c’est de l’intérêt collectif. L’intérêt collectif propre aux représentants syndicaux des auteurs.
– C’est écrit dans le [2] complète Denis. En fait, pour être un auteur professionnel, il suffit d’être un militant professionnel. Tes indemnités, ça va te faire quoi… 1 000 balles de revenus artistiques par an ? Après il te manquera plus que 2 500 balles pour entrer au statut… Je veux dire toucher le chômage.
Intéressant, concède Samba. Mais où il les trouvera, les 2 500 balles manquantes pour toucher le chômage ?
Pas compliqué, lui explique Denis :
– Moi j’ai une association… Je peux te verser 1 000 balles de droits d’auteur. T’as qu’à m’écrire un article sur mon blog. Mais tu me rembourses les 1 000 balles après, OK ? Non… Attends, j’ai mieux : grâce au décret 2020, tu peux te verser toi-même des droits d’auteur. Comme si tu étais ton propre employeur. Tu vois un peu le coup de maître ?
Récapitulons : 1 000 euros d’indemnités de représentation + 1 000 euros de vrais droits d’auteur + 1 500 euros de bidouille… et Samba atteint la barre fatidique qui lui permet d’intégrer le statut de l’auteur professionnel, soit de bénéficier d’une allocation chômage de 15 000 euros par an. Rapporté à l’investissement total de 3 500 euros, ça fait un retour sur investissement (ROI) de 429 %.
Même le bitcoin ne rapporte pas autant !
Honnêtement, niveau rentabilité, le droit d’auteur ne fait pas le poids.
Après tout, nous sommes dans une économie de marché, Auteurs, soyez pragmatiques !
(première publication en 2024, édito du bulletin du SNAC n°157)
[1] Voir le rapport complet ici : Rapport Racine – L’auteur et l’acte de création.
[2] Voir le texte complet ici : Décret n° 2020-1095 du 28 août 2020 sur Legifrance.