Ce jourd’hui, ma grand-mère a (aurait eu) l’âge ci-dessus.
Pas un cancer, zéro diabète, un peu d’Alzheimer.
Elle vécut 93 ans, alléluia !
En 1923, elle a trois ans et rencontre son premier photographe. Sa mère la déguise en poupée, son père la rêve institutrice ( au moins ). Un peu plus trad, elle frime encore devant l’objectif et s’amourache d’une racaille. Il ressemble à Gary Cooper mais est apprenti confiseur. Et puis Hitler envahit la Pologne. En Suisse on sait jamais trop quoi penser. On coche la case sans opinion.
Mami a donc beaucoup souffert de la guerre. A peine vingt ans, et les premières privations. Fini le chasselas joli, bonjour le poireau. Rien d’autre à se mettre sous la dent. De l’autre côté des frontières, c’est vrai, on crève de faim et de bombes. Ces Frouzes et ces Fritz, on peut pas dire qu’ils donnent le bon exemple même si on a de la famille chez eux. D’ailleurs, qui leur a demandé de se mettre dessus comme ça entre eux ? En pays de Vaud, pas un bandit, que du poireau. Du papet tous les jours, c’est quand même un exploit, surtout en pays neutre.

Le poireau aidant, mamie dépasse les nonante ans. Nom de bleu.
Ce jour-là, le syndic du village passe à la maison lui ouvrir une bouteille. Seulement elle ne boit pas. Qui se serait occupé du magasin si elle avait bu ? (Une confiserie rue Enning) . Avec les enfants qui fumaient en cachette… Et le mari qui ne l’a jamais, JAMAIS, accompagnée à l’église ? Il attend la fin du prêche au bistrot, le cuistre.
Heureusement, Dieu est là. Grâce à lui, et à la science chrétienne, mamie a marché sur trois pattes et a eu la moitié de sa tête jusqu’à 93 ans. Moi qui n’ai que deux jambes et le tiers d’un cerveau, je suis admirative. Peut-être devrais-je retourner à l’école du dimanche, où s’inculquent les principes scientifiques chrétiens.
Article 1, guérir par l’esprit saint : en cas de crise d’appendicite, inutile d’aller à l’hôpital ; chassez l’inflammation par la pensée.
Bien sûr que ça marche. La preuve, mamie n’a jamais eu à se faire retirer le moindre appendice. Et quand tata Marie a fait sa crise d’appendicite, elle a longtemps prié avant de consentir à la livrer aux médecins
L’hérédité, et le christianisme scientifique me garantissent donc la longévité. Mais les pesticides nous promettent le cancer. Qui croire ? De toutes façons, j’ai mangé très peu de légumes verts dans ma prime jeunesse. J’ai suivi moult séances de catéchisme. Mon âme, comme mes organes, sont sans doute purifiés. Je devrais vivre au-delà de 81,3 ans. Service minimum prévu par les statistiques. Du moins pour les femmes qui n’ont pas été écrasées par un autobus avant 38 ans, sous prétexte d’échapper aux lois des chiffres. En dehors de ces exceptions, qui n’arrivent qu’aux autres, les griots de la statistique ont toujours raison.

100 ans, 1 mois, 1 jour, jamais confinée même pendant la guerre. Ce soir je suis enfermée, et je mange des poireaux en ton souvenir.
Laisser un commentaire