
Pire qu’un contrat de mariage ? J’ai : le contrat d’édition.
L’illusion préside parfois à la signature de l’un ou de l’autre ; mais le mariage peut se dissoudre quand l’illusion est avérée. Le contrat d’édition, c’est… le serment de Faust à Méphisto.
Vrai, on a signé ce contrat le couteau sous la gorge il y a dix ans. Non, on n’a rien osé refuser. Parce qu’on devait avoir le prix Goncourt. Mais voilà, Goncourt nous a oublié, Fémina aussi, et même les lecteurs. On n’est plus qu’une loque, pieds et poings liés à son geôlier pour la Durée de la propriété intellectuelle.
Au début, on ne savait pas ce que ça voulait dire. Car nous, les écrivains, on ne s’abaisse pas à des histoires de propriété intellectuelle. Pas plus qu’on ne s’abaisse à savoir lire une facture EDF, ou un contrat d’édition.
Mais maintenant, oui, on sait déchiffrer une facture EDF, on sait même la payer, on sait aussi que Durée de la propriété intellectuelle, ça veut dire Pour le meilleur et pour le pire, jusqu’à 70 ans après que la mort nous sépare !
Et il nous prend l’envie de divorcer ? S’il te plaît, cher ami éditeur, puis-je récupérer mes droits, les numériques, surtout ? Pourrait-on amiablement nous séparer ?
Y veut pas.
L’amour qu’il nous porte est viscéral, même si son obligation d’exploitation permanente n’est pas tout à fait suivie : il ne remplit pas son devoir conjugal… Et il ne veut pas divorcer ?
Non, ma mignonne, il reste encore du stock.
Oui, mon chéri, combien ?
Cinq cents.
Ah ? J’aurais donc vendu huit cents exemplaires l’année passée ? Qu’attends-tu pour me les payer, et m’envoyer les comptes ?
C’est-à-dire que j’ai presque rien vendu, ma mignonne, j’ai pilonné presque tout. La surproduction…
Et tu ne veux pas divorcer ! J’exige un justificatif de pilonnage !
C’est-à-dire que le fond… Imagine que tu deviennes célèbre, vers 2035. On aurait tort de te retirer du catalogue aujourd’hui. Tu es notre capital-risque, ma mignonne.
Alors il attend. Il prend ton temps. Dix ans !
Plutôt qu’accepter la damnation (presque) éternelle du contrat d’édition, on aurait dû lui proposer un PACS et prendre deux amants !
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