Après la case de l’oncle Tom, permettez-moi d’évoquer le cas de l’oncle Georges.
Mon grand-oncle naît quelque part dans les années dix du siècle vingt, d’une Angèle, vaguement savoyarde, et d’une Gottlieb, à peu près teuton..
Il a deux ou trois ans, plus deux frères et une sœur, quand son père meurt d’une grippe espagnole.
Après, on les regarde bizarrement à la messe, les enfants comme des sauvageons, la veuve comme une fille-mère.
Elle ne se remarie pas. Donne sa fille à un restaurateur, son aîné à je ne sais pas qui, son petit dernier à une Olive, et Georges à personne : il reste auprès d’elle.
Il faut dire qu’il est assez moche, l’oncle Georges, d’ailleurs il n’a jamais eu de fiancée, c’était un petit garçon assez solitaire, et comme sa mère a marié trois de ses petits, il n’allait quand même pas la laisser seule.
Entre temps, il fait un apprentissage de coiffeur.
Son frère cadet se lance en confiserie, sa soeur aide le mari au café, le frère aîné, je ne sais pas trop, c’était le fils maudit :copieusement il a trompé sa femme, sacrilège, ensuite il l’a quittée, blasphème, mais il a été bien puni parce qu’il est mort du cœur dans la force de l’âge. Et sa fille se fera bouffer par le crabe bien avant quarante ans, là
L’oncle Georges, lui, ouvre un salon de coiffure, non loin de la confiserie de son frère, à quarante kilomètres du café de sa sœur.
Et voilà que la mère meure.
Copieu-sement il a trompé sa femme, sacrilège, ensuite il l’a quittée, blasphème
Dis-donc, il était pas homosexuel, l’oncle Georges ?
L’oncle Georges est seul à l’enterrement, on ne lui connaît toujours pas de fiancée, mais il ne reste pas longtemps seul. Très vite, il emménage avec sa sœur. Elle vient de perdre son mari (le coeur)
Et puis un jour, l’oncle Georges se trouve l’œil un peu vitreux et le ventre un peu dur. Cancer du pancréas, il en meurt avec ce qu’il faut de souffrances et nous laisse en souvenir une chevalière gravée de ses initiales.
Quelques vingt ans plus tard, repas de famille un dimanche, en pays vaudois. Sans raison, je repense à l’oncle Georges. Et je dis :
Dis-donc, il était pas homosexuel, l’oncle Georges ?
Ma grand-mère, outrée, me congèle illico du regard. Mais en bout de la table, mon grand-père crapote un cigare en silence. Tout amolli de souvenirs, il confesse :
Quand on était petits, c’est vrai qu’il aimait bien les garçons.
Fin de la controverse.

Le mariage eut-il été ouvert à tous en ce temps-là, l’oncle Georges se serait peut-être permis, passé l’âge des culottes courtes, d’aimer un homme, de commettre des enfants.
Crimes que, vraisemblablement, il s’est interdit toute sa vie.
C’est drôle au début, et émouvant à la fin. Encore un joli texte, pour une juste cause.
Une pensée pour l’oncle Georges… Mais, si jamais tu te trompais et qu’il était hétéro ?
Bon, ça ne change rien aux qualités du texte. Et là où il est, il s’en fiche sans doute un petit peu, maintenant…