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Jesko Albert Eugen Von Puttkamer était beau, avait un joli prénom et le port de tête princier.
C’était un homme délicat, exquis, raffiné. Il était d’ailleurs amoureux, Jesko, parce que l’amour, c’est délicat, c’est exquis comme du kiwi. Il était donc irrémédiablement amoureux d’une belle austro-hongroise. Elle avait le sang tout bleu, s’appelait Misa, et elle était mignonne, Misa, mignonne comme une Rose de Ronsard, délicate comme un kiwi de Hongrie, exquise comme un kumquat viennois. Jesko en était fou. Il lui aurait baisé la main, et le reste, toute la journée. Il a d’ailleurs fini par la lui demander, sa main, et le reste aussi.
Elle a dit non.
La bien aimĂ©e Misa von Esterhazy éconduisit Jesko, parce que, sans doute, elle lui prĂ©fĂ©rait un vieillard du nom de Mark Twain. Pourtant, Jesko n’Ă©tait-il pas issu d’une famille aristocratique ? N’avait-il pas fait des Ă©tudes juridiques Ă Strasbourg, Leipzig, Fribourg en Brisgau, Breslau et Königsberg ? Sa carrière diplomatique n’avait-elle pas brillamment dĂ©butĂ© Ă Chicago ? Mais si. La belle Misa lui prĂ©fĂ©ra quand mĂŞme ce vieillard du nom de Mark Twain.
Puttkamer ne s’en remit jamais.
Elle sentait si bon, Misa. Elle sentait la fève Tonka, la rose, et le romarin. Comment oublier son odeur. Comment guérir de son odeur.
Jesko voulut se retirer dans les ordres. Il voulait s’enterrer, Jesko, dans un palais extraordinaire et solitaire, comme la belle au bois dormant. Ses ordres auraient la forme d’un grand château blanc de conte de fées.
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Un bel édifice lugubre, en pays montueux, avec deux tourelles, une jolie rotonde, un grand escalier. Ce serait un sépulcre juché sur une petite colline esseulée, qui vous regarderait de haut, un peu comme Marlene Dietrich vous regardait quand elle s’est retirée en disant « Ô ! Laissez-moi… Laissez-moi seule ! ».
Or Jesko voulait être seul dans des hauteurs sinistres. Seul, dans un palais de sultan allemand. Seul, pour souffrir en paix, jouir en solitaire de son chagrin d’amour. Alors, il construisit son manoir hanté, au cœur des ténèbres camerounaises. Ce mausolée se dresse pas très loin du Mont Cameroun, là , juste à droite, regardez par la fenêtre de la voiture le beau sépulcre blanc.
Un grand portail monté comme de la crème chantilly.
Oui, on dirait la grande maison dans la petite prairie. Ou la version bavaroise de la jolie bâtisse de Psychose.
Guimauves fossilisĂ©es…
Et ce sont des valets nègres qui ont érigé cette sucrerie en hommage au dolorisme romantique.
L’aventure se dĂ©roule Ă BuĂ©a, site au climat assez hospitalier pour que les Allemands en fassent un temps la capitale de leur fugace Kamerun.
Le gouverneur Jesko Von Puttkamer coula des jours presque heureux, dans le monument à sa mémoire blessée.
Il ne vĂ©cut guère plus longtemps que la colonisation germanique. Mais elle lui donna le loisir de panser ses chagrins, ce qu’il fit aussi au Togoland, parc d’attractions et musterkolonie dont il fit un mĂ©morable commissaire impĂ©rial.
Tout ça par la faute de Mark Twain…
Salauds d’AmĂ©ricains, va…
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Bruno Boccara says
Joli… JNVSTP
François Prunier says
Houah, la belle histoire, romantique Ă souhait… J’adore ! J’aimerais bien visiter la maison hantĂ©e, maintenant…
Jean-Hugues Berrou says
Econduisez, Mesdemoiselles et Mesdames – c’est la clef de la reprise Ă©conomique :
quand le bâtiment va, tout va.