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Bessora

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Voyage sous narcose ( Best European Fiction 2016)

mars 14, 2016 par Bessora 1 Comment

Best-European-Fiction-2016
 

 


On lira l’intĂ©gralitĂ© de ce petit texte en anglais, mais oui, on est bilingue, dans l’anthologie amĂ©ricaine oĂč je suis dĂ©sormais statufiĂ©e Best European Fictions 2016 (Dalkey Archive Press)


J’étais fixĂ©e sur ce pot de yaourt, favorablement nĂ© de mon imaginaire.
Son emballage en papier recyclable se prĂ©sentait donc Ă  mon esprit, indiquant un arĂŽme naturel de framboises. Son opercule en aluminium prĂ©cisait une date de pĂ©remption largement dĂ©passĂ©e. Mais il Ă©tait encore consommable : comme nous, les yaourts ont une vie aprĂšs la mort, une existence de 21 jours Ă  peu prĂšs. Ensuite, il faut les incinĂ©rer. Comme nous. Encore que. Nous, nous avons le choix. Aussi nous ne choisissons pas toujours la crĂ©mation. Pourtant, de nombreuses cultures la recommandent. En tout Ă©tat de cause, l’incinĂ©ration du yaourt pĂ©rimĂ© est une exigence environnementale, et une obligation lĂ©gale.
En attendant, ce produit laitier ne m’était pas venu en tĂȘte pour que je l’incinĂšre. Ni mĂȘme pour que je le mange, Ă  mes risques et pĂ©rils. Il m’était apparu, en gros plan, pour m’extirper de certains voyages que, dans mon sommeil, j’entreprenais malgrĂ© moi.
En effet, grande voyageuse devant l’éternel, je voyage aussi dans le sommeil.
Veuillez croire que c’est dĂ©testable.
Cette fois-ci, c’Ă©tait juillet, nuit poisseuse et relents d’invisibles tilleuls, qui dans un jardin s’ébrouaient, tels des chiens mouillĂ©s. Je voulais dormir, simplement dormir. Était-ce trop demander Ă  quatre heures du matin ? Or des rĂȘves intempestifs me l’interdisaient. Pour en sortir, je devais me fixer sur une image, et cette image fixe devait m’arracher au rĂȘve. Ainsi, ce yaourt avariĂ©. ImposĂ© Ă  ma conscience, il Ă©tait ma deuxiĂšme, peut-ĂȘtre ma troisiĂšme tentative d’évasion de mon nomadisme onirique.
C’est-Ă -dire du voyage sous narcose.
Le voyage sous narcose est une grave maladie du sommeil, chronique, et bien plus dommageable que la piqĂ»re de la mouche tsĂ©-tsĂ©. Certes, la mouche tsĂ©-tsĂ© peut-ĂȘtre mortelle, mais le voyage sous narcose, lui, ne vous laisse mĂȘme pas cette Ă©chappatoire. On y perd la mĂ©moire, la notion du temps, et l’on se convainc parfois d’avoir vĂ©cu des Ă©vĂšnements qui n’ont jamais existĂ©. Dans les cas les plus graves, l’on oublie son identitĂ© originelle pour lui en substituer une autre (souvent de valeur moindre).
Or ce matin-là, de juillet poisseux, la tyrannie du voyage sous narcose avait commencé vers 1h.
J’avais cru m’assoupir vingt minutes plus tĂŽt, mais voilĂ  que dans un rĂȘve, j’étais parfaitement Ă©veillĂ©e. De mes yeux grands ouverts, je me dĂ©couvrais Ă  Abidjan, capitale d’une CĂŽte d’Ivoire. Rien ne me le spĂ©cifiait, mais je me savais en cette ville Ă©tincelante. Debout en plein cagnard, au beau milieu d’un marchĂ© aux poissons, j’avisais les alentours Ă  la recherche de mon lit.
Non, je ne voulais pas ĂȘtre ici, Ă©blouie par le soleil d’ivoire (ce soleil avait la texture et la couleur d’une dĂ©fense d’élĂ©phant, mais il Ă©tait plus rond, bien sĂ»r, et beaucoup plus brillant).
D’ici, je ne voulais pas.
Je voulais de mon lit, mon lit Ă  Paris, Paris et mon lit, qui m’attendaient, et devaient se ronger d’inquiĂ©tude, puisque je n’étais pas lĂ . Je ne pouvais pas les laisser seuls, surtout la nuit. Mais dans l’Abidjan oĂč j’étais sĂ©questrĂ©e (narcotiquement parlant), il y avait beaucoup de monde, spĂ©cialement des petites vendeuses de beignets, et ces individus amalgamĂ©s me bouchaient la vue. Je pense qu’ils le faisaient exprĂšs. Impossible, donc, de m’extraire de ce songe ivoirin et horriblement lucide, et qui sentait le poisson plus que le beignet.
Au bout d’un certain temps en Abidjan, moi qui n’aspirais qu’au repos, j’ai vu mes jambes se mettre Ă  courir. Sans mon aval, elles se sont emballĂ©es, comme deux personnes dotĂ©es d’une volontĂ© propre, et contraire Ă  la mienne. C’est qu’elles avaient vu, derriĂšre moi, trois policiers lancĂ©s Ă  nos trousses. DĂ©sormais je courais pour les fuir, et dans mon dos je les entendais hurler.
Ils vocifĂ©raient que je n’avais pas de visa.
Il fallait retourner dans mon pays fissa.
Mes jambes couraient toujours, dĂ©jĂ  moites de sueur, et moi je m’essoufflais, mais je criais quand mĂȘme Ă  mes poursuivants que je ne demandais pas mieux que de rentrer chez moi. Seulement j’avais perdu mon lit. Comment rentrer chez vous quand vous ignorez votre adresse ?
J’entendis des coups de feu. On me tirait dessus. Ces policiers, sans doute, zĂ©lĂ©s, fĂȘlĂ©s, mĂȘme.
Alors que j’éprouvais douloureusement la perforation de mon poumon droit, par au moins deux balles de kalachnikovs, je me demandai pourquoi la narcose m’avait dĂ©barquĂ©e en ce pays, Ă  cette heure-ci, dans un marchĂ© poissonnier et sous un soleil Ă  faire fondre l’atome. Je courais toujours, mais moins bien, bien sĂ»r, car mon poumon droit ne fonctionnait plus. Ce manque d’oxygĂ©nation m’amena Ă  des considĂ©rations mĂ©taphysiques : qui ? OĂč ? Pourquoi ? Ă©tais-je prisonniĂšre d’ici parce que j’avais Ă©crit dans l’aprĂšs-midi ?
Je suis Ă©crivain en effet. Du moins, c’est l’identitĂ© que je me connais aujourd’hui, mais je ne suis pas sĂ»re qu’elle soit originelle. Peut-ĂȘtre ai-je Ă©tĂ© quelqu’un d’autre, avant, mais j’ai oubliĂ© qui. Il est aussi possible que j’ai volĂ© mon identitĂ© d’aujourd’hui Ă  un pauvre innocent.
En tout Ă©tat de cause, j’écris.
Veuillez croire que j’en paye le prix.

 
 
 
 
 
 
 

Le voyage sous narcose est une grave maladie du sommeil

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Mon lit devait se ronger d’inquiĂ©tude, puisque je n’étais pas lĂ 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Je courais toujours, mais moins bien, bien sûr, car mon poumon droit ne fonctionnait plus

PLai
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 

 

waldemar nobre
de Waldermar Nobre

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Inno (Inoussa Simpore)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Moi
Moi

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Comments

  1. François Prunier says

    mars 14, 2016 at 11:39 am

    C’est l’Ă©ternel dĂ©bat sur la bouteille Ă  moitiĂ© vide ou Ă  moitiĂ© pleine : le doute sur notre Ă©trange situation et son caractĂšre manifestement Ă©phĂ©mĂšre peut signifier aussi que nos misĂšres prendront fin un jour…
    Et puis, des fois, les rĂȘves sont bien agrĂ©ables (mais dans ce cas, il est vrai que c’est le rĂ©veil qui est pĂ©nible…).
    Enfin, il m’est arrivĂ© de manger des yaourts trois mois aprĂšs la date de pĂ©remption sans en ĂȘtre aucunement incommodĂ© : le produit avait mĂȘme conservĂ© son goĂ»t. Il faut toujours les ouvrir et se fier Ă  l’aspect, l’odeur, etc, puis goĂ»ter un tout petit peu avant de se lancer ou d’y renoncer !

    Répondre

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