LevĂ©e Ă l’aube pour cet anniversaire, qu’il est sombre ce petit matin. Un mien parent – mère, sĹ“ur, cousine ou frère, j’ai du mal Ă le discerner–, est dejĂ lĂ qui me parle bas. Si je l’entends bien, il ou elle m’annonce que celui qu’on cĂ©lèbre aujourd’hui ne viendra pas ?
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Sans un mot de plus, ce mien parent se retire, je ne me laisserai pas duper : cette cousine, ce frère, cette nièce, mère ou sœur, je ne l’ai toujours pas reconnu(e) dans le jour arrêté, il (elle) est probablement mal informé(e). Papa viendra, aujourd’hui il a quatre-vingts ans, quatre fois vingt ans, cela se fête, sinon où va le monde.
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Quatre fois vingt égalent quatre-vingt dans le siècle vingt comme dans le vingt et un.
1904, grand-père Edouard a un an. 1914, option de la grippe espagnole sur pĂ©pĂ© Gotlieb. 1924, Rosa n’aura pas deux enfants. 1934, voilĂ papa, aĂ®nĂ© rejeton, de sexe mâle, double calamitĂ© l’aĂ®nesse et la masculinitĂ©. 1944, des Noirs d’AmĂ©rique dĂ©barquent en Normandie, ceux de France sont alors mieux traitĂ©s, mais les temps vont changer. 1954, Olive pouponne, papa est un nègre Ă Paris comme son père avant lui. 1964, premier coup d’état au Gabon, ratĂ©. 1974, un choc pĂ©trolier rĂ©tablit l’égalitĂ© entre le Nord et ses indigènes. 1984, George Orwell annonce Loft Story. 1994, dĂ©valuation du franc CFA, la monnaie du singe. 2004, Bessora publie Petroleum. 2014, papa a quatre fois vingt ans.
Et il ne viendrait pas ? On se fout de moi.
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Voilà encore ce mien parent méconnaissable dans le jour en arrêt, qui me dit, tu vois bien, Aya,  le soleil est sur pause, papa ne viendra pas. Il (elle) ment. Grand bien lui fasse.
Pain d’Ă©pices, crĂŞpes Ă la confiture, babas au rhum et autres cakes au fruit, je les dispose sur une desserte endormie, bientĂ´t j’y planterai des bougies.
Et l’autre  de se poster dans mon dos. Certes, lui dis-je sans un regard, souventes fois papa n’est pas venu, mais c’Ă©tait parce qu’il ne voulait pas. LĂ , il veut.
Il veut peut-être, me concède mon insaisissable parent. Peut-être aussi qu’il ne veut pas. Mais dans tous les cas, il ne peut pas.
Et de se dissiper dans les prémisses du matin.
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Au dernier anniversaire de papa, non à l’avant dernier, nous avons eu comme chaque année un échange de mail.
Cher Papa,
Tu as 78 ans aujourd’hui, nous te souhaitons donc un joyeux anniversaire, et espĂ©rons que tu marches un peu et que les escaliers de la maison ne sont pas trop difficiles Ă monter.
On t’embrasse.
Il n’avait pas répondu.
L’année précédente en revanche, il m’avait fait par écrit cette promesse : ma fille, je crois que je vivrai encore longtemps. Affectueusement. Papa.
Papa n’a pas souvent tenu les promesses qu’il m’a faites.
Mais celle-là , je savais qu’il la tiendrait. Même électronique. Electroniquement, bon sang, qui ne saurait mentir.
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L’année dernière, il a eu soixante-dix-neuf ans.
Je ne me souviens pas que nous ayons échangé, même électroniquement. Je ne sais pas, il était peut-être en villégiature à Lambaréné. Du côté de Mbi Mel, concret. Là -bas, ils n’ont pas internet.
Il sera content de son pain d’Ă©pices, papa, de ses babas au rhum, de son cake aux fruits (maman l’a prĂ©parĂ©) et de ses crĂŞpes Ă la confiture (maman aussi). Moi je fabriquerai une tarte tatin, fait main, fait maison, il aime bien, et on lui servira des pĂ©tales de maĂŻs dans de la citronnelle. Papa mange ses frosties avec de l’infusion de citronnelle. De la citronnelle on en avait plein le jardin.
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Avé, jardin, ceux qui vont mourir te saluent.
Étrange en effet, ce soleil qui ne veut pas surgir Ă l’horizon d’aujourd’hui.
Longtemps, mon nez colle à la vitre, citronnelle flotte au vent de ma mémoire saline,  mais le soleil ne veut pas se lever, grasse matinée, repos mérité, mais pas trop longtemps, pas trop éternel, je vous prie.
Et voilà qu’un souffle salé se pose sur ma nuque : je suis venu tenir ma promesse, ma fille.
Je savais qu’il viendrait.
OĂą t’es, papa, oĂą t’es ?
OĂą t’es, papa, oĂą t’es ?
Voilà un père aimé et chéri et qui le savait certainement.
Qui le sait encore, peut-ĂŞtre, qui sait ?
Gardons l’espoir, chère Bessora !
Voilà un père aimé et chéri et qui le savait certainement.
Qui le sait encore, peut-ĂŞtre, qui sait ?
Gardons l’espoir, chère Bessora !