Pucelle chérie,
OrlĂ©ans est ta ville, Ă toi qui bouta des Anglais hors de France. La France d’alors n’avait pas besoin de siège au conseil de sĂ©curitĂ©. Mais OrlĂ©ans, Jeanne, c’est aussi le cĹ“ur du parlement des Ă©crivaines francophones. Qui me convie Ă sa session d’automne. Seulement, j’ai boutĂ© la francophonie hors de chez moi.
C’était Ă peu près Ă ton Ă©poque, Jeanne. Je n’avais nul besoin de siĂ©ger Ă quelque conseil que ce soit, si ce n’est syndical : comme toi j’avais entendu ces voix qui murmurent adhère au S.N.A.C ! J’ai combattu, Jeanne, et je combats encore, dans ces armĂ©es appelĂ©es organisations professionnelles ou syndicats. Elles sont ouvertes Ă tous : la francophonie, Jeanne, n’est donc pas leur sujet. Le mien non plus
Tu me demandes ce qu’est Francophonie. Chère pucelle, cette demoiselle a plusieurs papas et plein de mamans, je pourrais t’en citer des tas, de ces lois et de ces dĂ©crets. Mais je ne te parlerai que de la SĂ©paration des Ă©lĂ©ments indigènes et europĂ©ens. Aujourd’hui, on n’a plus le droit de faire ça. Aujourd’hui on n’a plus le droit de dire ça. Alors on dit Francophonie jolie.
Ce dĂ©cret qui sĂ©pare a Ă©tĂ© enterrĂ© vivant au siècle dernier, dans des archives rĂ©servĂ©es aux rats de bibliothèque. Et on a cru pouvoir faire comme s’il Ă©tait mort, comme s’il n’avait jamais existĂ©. En principe, nos Ă©narques et autres Ă©lites ne sont pas instruits de son existence : ça ne fait pas partie de la culture dite gĂ©nĂ©rale. Personne, j’imagine, ne t’a questionnĂ© Ă ce sujet quand tu as passĂ© ton concours d’entrĂ©e Ă Sciences Po ? Tu ne l’as pas appris non plus quand tu Ă©tais en CM2. Et ton instit confondait la Martinique et la Guadeloupe…
C’est Ă cause, ou grâce, Ă ce dĂ©cret que Charlotte Gainsbourg ou Daniel Pennac ne sont pas des artistes francophones. Romain Gary non plus, n’est pas un indigène. Fabienne Kanor, si : c’est incroyable ce qu’elle Ă©crit bien le français pour une Antillaise. D’ailleurs tu n’as jamais entendu parler d’elle : sa littĂ©rature est exotique, elle a ses journalistes spĂ©cialisĂ©s, et ses rayons dĂ©diĂ©s dans les librairies. Oui, Jeanne, la Francophonie est une sorte de maladie qui change les gens en choses. Elle est d’autant plus virulente qu’elle s’ignore. Quand on ne se sait pas malade, on ne se soigne pas.
Dans la maladie d’hier, le supĂ©rieur Ă©tait qui l’on sait. Dans celle d’aujourd’hui, on a renversĂ© le rapport de domination : le supĂ©rieur, c’est le francophone, celui de la littĂ©rature-monde, longue vie Ă la sĂ©paration. Mais certains violent les règles de l’indigĂ©nat. Moi, je l’ai sexuellement agressĂ©e: je sors d’un utĂ©rus europĂ©en. Dans le monde des Lettres en Noir ou Blanc c’est un croisement difficile Ă concevoir.
Pour remĂ©dier Ă cet accident biographique, il suffit de balayer ma mère de mes origines. RĂ©sumĂ©e au jus des couilles de mon père, me voilĂ l’incarnation de l’Afrique et de sa faune. Cette Afrique acceptable, parce que son visage est pâle, son poil peu crĂ©pu. Afrique dont la monnaie de singe est, aujourd’hui encore, fabriquĂ©e par la Banque de France Ă Chamalières.
Longue vie, donc, au Franc des Colonies Françaises d’Afrique.
Longue vie, donc, Ă la Francophonie
Mais sans moi
Affectueusement
Ta cousine germaine,
B.
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