Un extrait de mon roman je ne sais plus combien, mais dont je me rappelle le titre : Cueillez-moi Jolis messieurs fĂŞte ses dix ans en librairie.
« J’ai beaucoup pleuré, Sieur crocodile, au cours de ce mois de novembre, mais ça ne m’a pas porté chance. Ainsi, les assistantes sociales et socialistes… fourmis peu prêteuses, ça oui.
La première affichait son mépris pour les personnes sans-emploi mais ne cachait pas son admiration pour les écrivains. Surtout pour les écrivains maudits comme elle se plaisait à m’imaginer. En confiance, je lui servais les épisodes de ma vie, dans l’ordre, en finissant par mon hébergement chez Claire, puis le faux deux-pièces dont déjà , on prétendait m’expulser, et de la manière la plus expéditive.
Elle s’ émut de mon sort. Cependant, me dit-elle, je n’étais pas de cette élite recherchée par les offices HLM. Il eut fallu que mon emploi fut stable, et mes revenus, réguliers, et salariés, de préférence. Certes, j’avais deux enfants, et c’était une bonne moyenne ; mais l’une était malade, leur écart d’âge était suspect, d’ailleurs, n’étaient-elles pas nées de pères différents, et dans des pays différents, et moi-même, j’étais née dans un troisième pays, la Belgique ? C’était amusant, mais ce n’était pas sérieux. Et compte tenu de… comment dire… l’instabilité de ma vie, pouvait-on espérer de moi de la stabilité dans le paiement d’un loyer ?
Et mon compagnon ?
Il était mort, quel grand malheur, mais pour être honnête il eut été plus raisonnable de nous marier de son vivant, et aussi… ce lymphome… dont il était décédé… si jeune ?
Et si une nouvelle tuile me tombait sur la tête, qui paierait le loyer de mon logement social si on m’en donnait un ?
Bref, j’étais un cas presque social, elle me conseilla donc de chercher dans le logement privé.
Je m’épanchai dans une nouvelle oreille, qui m’écouta longtemps dans un silence très professionnel, raconter les malheurs qu’elle connaissait par cœur. Du haut de son grand âge et de son expérience inouïe, elle m’ éclaira.
– Mon pauvre petit. Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse. Il y a pire. Pourriez-vous faire entrer la personne suivante en sortant s’il vous plaît ?
Personne suivante. Mon oreille collĂ©e Ă la porte. A l’issue d’une de ces longues Ă©coutes qui l’avaient rendue sourde, l’assistante sociale socialiste rassura cette personne suivante.
– Mon pauvre petit. Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse. Il y a pire.
Et elle fit entrer la personne suivante, s’il vous plaît.
Survivre à tout, malgré tout ?
La troisième tentative fut mon plus beau fiasco. D’abord, elle supportait mal que mon père ait été un riche diplomate. Elle m’aurait préférée rescapée d’un génocide quelconque, même si elle trouva une maigre compensation dans le fait que mon père avait perdu sa fortune dans une campagne politique, puis la raison dans une geôle. Mais elle ne me pardonna pas d’être calibrée pour ses plus hauts échelons :
– Avec vos beaux diplômes, vous pouvez bien trouver du travail comme tout le monde !
C’était une femme jeune, acariâtre, en sommeil. Je lui ai dit le fond de ma pensée.
– Comme vous, Madame, j’ai déjà été esclave salariée. C’était ailleurs. C’était autrefois. Je m’ennuyais. La vie n’est pas faite pour s’ennuyer.
Je lui expliquai comment, dans une autre vie, j’avais gagné ma vie à la perdre comme le fait encore ma sœur aujourd’hui. Moi, j’avais démissionné. Eglantine, elle, souffre d’un ulcère à l’estomac et de mycoses génitales. Je rappelai encore à cette socialiste ce que les statistiques lui avaient enseigné même si elle feignait de l’ignorer : les femmes seules avec enfants ne valent rien sur le marché aux esclaves.
– Vous me direz, chère Madame, que je n’aurais jamais dû m’affranchir du marché du travail. Que je devrais me repentir et remettre mes chaînes… Eh bien non ! Je ne les remettrai pas. D’ailleurs plus personne ne veut m’enchaîner. Ma côte serait probablement meilleure sur le marché du sexe.
Elle voulut me mettre à la porte, je résistai.
– Imaginons, chère Madame, un marché idéal, où l’on se fiche de votre état civil, du nombre et du sexe de vos enfants, de vos origines, de votre périmètre fessier, de votre religion, de vos signes particuliers, des écoles que vous avez fréquentées, de l’adresse de votre dernier employeur, de votre numéro de sécurité sociale, du certificat de mariage de vos parents, de l’identité de votre médecin traitant, de ce que vous pensez de l’homéopathie, de l’acte de naissance de votre fille aînée, de votre numéro d’allocataire, de vos allergies, de votre opinion sur le problème du tatouage, de votre carnet de vaccinations, du dernier film que vous avez vu au cinéma, du renouvellement de votre tarif de cantine, de l’Irak et de l’Afghanistan, de la déviation de votre cloison nasale, du certificat médical de votre neurologue, de votre bordereau fiscal P237, de l’élasticité de votre périnée, du nombre et du sexe de vos frères et sœurs, de la couleur de vos yeux, des adresses où vous avez résidé depuis votre naissance, de votre casier judiciaire, de vos hobbies, de vos motivations, de l’orthographe de votre nom de famille, des attestations de votre caisse d’allocations familiales, de votre taux d’alcoolémie après un verre de rhum blanc, de vos insomnies, de votre secteur de scolarisation, de tout ce que vous avez raté ou réussi dans votre existence.
Elle me mit Ă la porte. Je criai :
– Est-ce là le marché du sexe !
Mon cul, c’est vrai, est aussi bien fait que ma tête. Avec mon joli cul, je peux bien faire la pute comme tout le monde.
Seulement j’ai trop d’amour pour mon derrière. La croupe, Sieur crocodile, n’est-elle pas le fondement de l’humain ? Mon cul m’inspire la mĂŞme tendresse que l’équateur sĂ©parant mes hĂ©misphères, le mĂŞme attachement que mes intestins spasmodiques, la mĂŞme affection que mon ventre amnĂ©sique, la mĂŞme sympathie que ma condition de mortelle. Un jour, j’espère surmonter mon prĂ©jugĂ© sentimental pour embrasser le cynisme de tous les marchĂ©s. Car l’amour n’existe pas. Et Dieu non plus, tel est le fondement de tous les mercantilismes, et des socialismes d’aujourd’hui. »
plus_de_patience says
On dit que les Ă©crivains n’Ă©crivent bien que le ventre vide. Pourquoi alors ne pas vous exercer Ă la plume dans une de ces contrĂ©es si chaleureuses et si accueillantes qui ne versent ni le RSA ni d’autres subsides, permettant ainsi un exercice de l’art purement altruiste dĂ©livrĂ© de la pression des assistantes sociales.