Le monde où l’on catche est un petit texte de Roland Barthes, publié notamment dans ses Mythologies (1957, naissance de la loi sur la propriété littéraire et artistique, n-1 avant la cinquième république, n+4 après la naissance de ma tante Marie).
Roland Barthes (Automne 1915 – Printemps 1980) Ă©tait quelqu’un qui n’est pas n’importe qui : on l’enseigne aujourd’hui encore dans les universitĂ©s amĂ©ricaines, mais pas que. Or, les mĂŞmes classes enseignent aussi Cyr@no de Bessorac, mais pas que. Donc, Roland Barthes Ă©tait-il vraiment quelqu’un ?
Etant donnĂ©Â les circonstances de sa mort, je me demande ce qu’ĂŞtre quelqu’un veut dire. Roland Barthes a pĂ©ri sans gloire (complications pulmonaires) sous les roues d’une camionnette sans vergogne. Ajoutez Ă cela que le propriĂ©taire du vĂ©hicule criminel Ă©tait un entrepreneur en blanchisserie. N’importe qui, quoi, n’importe quoi, donc.
Que conclure du trépas de Roland Barthes ?
Qu’ĂŞtre quelqu’un c’est n’ĂŞtre qu’un morceau de viande ontologique ?
Que transcender votre condition de mammifère n’empĂŞchera pas une camionnette de vous rappeler Ă votre Ă©tat de steak d’humain, sans les frites ?
Et cela même si vous traversez vos rues dans le quartier latin ?
En plus je crois qu’il Ă©tait marxiste, Roland Barthes ? C’Ă©tait donc bien quelqu’un, ami des peuples opprimĂ©s et des ouvriers portugais, comme Jean-Paul Sartre, ou Che Guevara, voire François Hollande ou Emmanuel Macron.
J’espère ne pas connaĂ®tre le destin tragique de Roland Barthes.
En vĂ©ritĂ©, je frĂ©quente davantage les boulevards des MarĂ©chaux que le quartier latin ou les jungles boliviennes. Je ne suis dĂ©cidĂ©ment par une hĂ©roĂŻne romantique, missionnaire du bas peuple. Mais on ne sait jamais. Si les blanchisseries sont de plus en plus rares, on peut encore voir passer leurs camionnettes du cĂ´tĂ© des MarĂ©chaux, d’oĂą elles rejoignent le pĂ©riphĂ©rique. Et j’ai l’alvĂ©ole pulmonaire si sensible.
 :
Ainsi la très catholique University of Notre Dame, de l’autre cĂ´tĂ© du lac Michigan, du moins du point de vue de Chicago. J’Ă©tais si heureuse de l’accueil reçu, de la curiositĂ© chaleureuse des Ă©tudiants amĂ©ricains, de la dĂ©fiance ombrageuse d’un Ă©tudiant français, Ă©chouĂ© lĂ suite Ă un Ă©change universitaire entre la France, oĂą il est interdit de parler anglais, et les Etats-Unis, oĂą le français Ă©tait, ce jour-lĂ , bienvenu. HĂ©las, lĂ oĂą l’AmĂ©ricain catho vous ouvre les bras, le Français laĂŻc souvent les referme : gonflĂ© d’une supĂ©rioritĂ© que personne ne veut lui reconnaĂ®tre, il craint que vous ne le regardiez de haut, alors il fait en sorte de vous toiser de plus haut encore.
Je garde pourtant un souvenir Ă©mu de ce tout jeune Breton exilĂ© au pays d’Obama, qui cachait mal son Ă©moi, son dĂ©pit mĂŞme, heurtĂ© de dĂ©couvrir un Cyr@no de Bessorac, outrage à une oeuvre canonique, Cyrano de Bergerac, dont par le sang il se croyait sans doute l’ayant-droit exclusif.
Certes, pas plus que Rick Riordan, dont le Percy Jacskon est une offense Ă Â PersĂ©e, pas plus que Steve Martin, dont la Roxanne (1987, Scenario : Steve Martin et Edmond Rostand) est un indignitĂ© faite Ă Cyrano de Bergerac,  je n’ai le sens de la hiĂ©rarchie, ou du sacrĂ©. Je blasphème comme je respire. On nous dit libertĂ© d’expression…
Curieusement, le blasphème est relativement bien tolĂ©rĂ© par certains esprits puritains. Mais pour les âmes laĂŻques, Ă©clairĂ©es par les lumières du siècle 18 et par la libertĂ© d’expression, c’est une autre histoire : exprimez-vous, mais ne blasphĂ©mez pas. Ne croyez pas en Dieu, mais ne blasphĂ©mez pas.
Et moi qui ne sais rendre culte Ă aucune divinitĂ©, pas mĂŞme Ă l’abbĂ© Pierre, ni Ă Edmond Rostand, je m’en excuse auprès de la Bretagne, de Jules Ferry et de la francophonie : en effet, je ne suis pas la petite-fille d’Edmond Rostand par le sang, et par le sexe je ne suis pas un Ă©crivain mâle, et par la couleur je ne suis pas une autrice tout Ă fait blanche. Ce qui, je l’admets, rend mon Cyr@no d’autant plus rĂ©prĂ©hensible.
Cependant, paix et fraternitĂ©, adorateurs d’idoles que j’aurais blessĂ©s ! Je puis assurer au fantĂ´me d’Edmond Rostand, qu’à dĂ©faut de lui lĂ©cher les bottes ou le cul, je lui baiserais volontiers le front, s’il en avait envie, bien sĂ»r, et s’il lui restait un front Ă baiser.
Non, Edmond, je ne te vénère pas,  je t’aime !
Et que cela soit ou non rĂ©ciproque, d’ailleurs.
Je t’aime malgrĂ© toi, Ed’, mĂŞme si ta Roxane est un peu gourdasse.
MalgrĂ© toi je t’aime, mĂŞme si ton Cyrano m’Ă©voque parfois un coq dressĂ© sur ses ergots.
Oui, je t’aime, malgrĂ© l’emphase de ton hĂ©ros trop hĂ©tĂ©ro.
Et puis ton emphase ne rejoint-elle celle du catch, si brillamment décortiqué par Roland Barthes ?
Non ? Pas le catch ? Comment ça Non pas le catch ?  Mais enfin, tu n’as pas lu Roland Barthes, Edmond ? Quoique vulgairement fauchĂ© par une camionnette dans le quartier latin en 1980, je te jure Edmond, je te jure sur la tĂŞte de Steve Martin, que Roland Barthes Ă©tait quelqu’un !
François Prunier says
Ah oui, « Le degrĂ© zĂ©ro de l’Ă©criture » est une rĂ©flexion assez pertinente sur l’Ă©criture. Je ne partage cependant pas le goĂ»t effrĂ©nĂ© de Barthes pour l’Ă©cole du « Nouveau Roman », mais bon, il Ă©tait de son temps, cet homme. Quant au Cyrano de Rostand, il est très surfait : ses mĂ©taphores manquent de puissance et son style manque de tenue. On est loin de la rigueur d’un Racine ou de la puissance d’un Shakespeare, mais bon, c’est rapide, lĂ©ger, joli et drĂ´le, disons que ça se lit mais le fait qu’on s’en rappelle est bien le signe qu’on se prosterne devant le succès et non devant le talent ou le travail, en un mot, devant le toc. Toi la rebelle, tu seras bien dans ce cas l’exception qui confirme la règle, mais Rostand ne mĂ©ritait pas selon moi l’hommage que tu lui rends.
Bessora says
Hommage, hommage, est-ce que j’ai une tĂŞte d’hommage !