Au restaurant, je commande un café gourmand, petit fondant  chocolaté, mini-crème brûlée, micro-gaufre coiffée de chantilly sucrée. Mais voilà que Tonton Tati menace : arrête avec le sucre, sinon tu vas mourir.
Mourir ? je m’Ă©tonne. Et de quoi, mon Tonton ?
Sardonique, Tonton me sourit suisse-allemand :
Du cancer, il me dit. Tu vas mourir du cancer, ma nièce. La vie moderne ne nous vaut rien.
Je soupçonne Tonton Tati d’avoir profĂ©rĂ© ces menaces en reprĂ©sailles Ă ce que je lui ai  dĂ©clarĂ©, le mercredi 9 aoĂ»t 1995 Ă l’heure du thĂ© : Tonton Tati, je lui ai dit, arrĂŞte de toujours m’offrir les mĂŞme chocolats Ă mon anniversaire, j’en ai marre de tes chocolats, je sais bien que les FĂ©mina Cailler pralinĂ©s s’offrent depuis toujours aux femmes en un bouquet de chocolats tendres et fondants habillĂ©s de leur imprimĂ© de dentelle blanc et bleu, mais quand mĂŞme, est-ce que ça va durer encore longtemps ?
Vingt ans plus tard, il me souhaite le cancer. Ses chocolats étaient-ils irradiés ? Nonobstant, je commande mon café gourmand, balançant dans les dents de Tonton :
Alors là , ça, moi, tu vois Tonton, le cancer ne peut pas me trouver : j’ai brouillé les pistes.
Arrive mon cafĂ© gourmand. Et dĂ©jĂ je me sens coupable. Cachez-moi ce sucre que je ne saurais voir. Je renonce aux six sucres que je mets d’habitude dans mon cafĂ©. A la place, j’y fais fondre cinq pastilles Ă©dulcorantes. Mes pĂŞchĂ©s son rachetĂ©s, pourtant, Tonton rit mĂ©chamment.
Tu vas mourir ! il me répète. Et pas juste tomber malade ! Mourir, tu as compris ? Du cancer, notamment.
Je bois mon aspartame, en m’interrogeant : comment peut-on mourir du cancer, notamment ? Le cancer est il un mal pĂ©riphĂ©rique ? Viendrait-il supplĂ©menter une maladie encore plus sournoise ? Je questionne Tonton :
Dis-moi, mon oncle, de quoi d’autre devrais-je mourir si j’ai dĂ©jĂ le cancer ?
Tonton réfléchit, ça lui plisse le front :
Je ne sais pas, ma nièce. D’hypertension, par exemple. L’aspartame n’est pas bon pour ce que tu as. A ta place, je passerais au miel.
Le miel, Tonton, j’y arrive pas. J’aime autant l’hypertension.
Alors Tonton me regarde me suicider au café gourmand.
Mais Ă mesure que je dĂ©guste mes fondant, gaufre et autres crèmes brĂ»lĂ©es, je sens bien qu’il me prend en pitiĂ©. Des souvenirs lui remontent. Ils nous revoient quand, enfant, il m’emmenait faire du vĂ©lo. Après tout, ne suis-je la fille aĂ®nĂ©e de sa grande sĹ“ur ? La nièce première de sa cadette ? La cousine germaine de ses deux filles ? La petite-fille de feue sa mère ?
SubmergĂ© d’Ă©motion, il veut dĂ©sormais me sauver :
La rĂ©demption est dans l’agave, me confie-t-il d’une voix incomparablement douce. Remets-t’en Ă l’agave, et tu n’auras plus jamais mal.
Il me raconte alors qu’il fut disciple du prophète David Servan-Schreiber, un sage qui rencontra l’agave sur le Mont SinaĂŻ. C’Ă©tait quelques temps après que l’Ă©lu ait croisĂ© une tumeur du cerveau, dans un scanner.
David Servan-Schreiber est mort aujourd’hui, mais l’agave, sirop mexicain bienfaisant, lui aurait adouci l’existence mieux que le sucre ou l’aspartame.
Moi qui n’ai pas encore de tumeur au cerveau (je vous jure que non), je veux rencontrer l’agave, moi aussi.
Demain, j’irai au Mexique, ou au supermarchĂ© bio. En sus de mes graines de courge et de tournesol, je trouverai le sirop d’agave. Il sera lĂ , dressĂ© entre du miel de fleur et une fiole d’huile d’argan. Nous nous regarderons, lui et moi. Je le prendrai, avec toute la virilitĂ© dont je suis capable, et alors, la queue entre les jambes, le cancer et l’hypertension s’Ă©loigneront Ă jamais, lâches qu’ils sont.
François Prunier says
Mais non, ma petite Bessora, fais-toi plaisir, mange, vis et Ă©cris ! Nous, on te lit, avec plaisir ! Et d’ailleurs, qu’y a-t-il de mieux que de feuilleter un bon Bessora en goĂ»tant un cafĂ© gourmand, chez soi ou Ă la terrasse ensoleillĂ©e d’un cafĂ©, hein ?