Comment détruire sa vie en moins de huit secondes ?
D’abord, la réussir. Naitre garçon dans le sud d’un hexagone avant le choc pétrolier. Gagner deux yeux bleus à la loterie des gènes. Trouver des amis éternels au Lycée. Se pâmer pour les musiques californiennes. Fonder un groupe new-wave avant 18 ans. L’appeler Psychoz à la manière de Hitchcock. Le rebaptiser Noir Désir, Try to remember, Carte Noire, un café nommé désir… Tu crois pas si bien dire, et tu vas t’en souvenir…
Dépasser le mètre quatre-vingt et même le quatre-vingt-cinquième. Aimer les filles à gueule d’ange et à ambitions princières. Faire vibrer les mangeuses de guimauve à coeur d’artichaut. En élire une à la présidence de sa vie domestique. Procréer et multiplier. Voter à gauche toujours, et vivre à droite. Faire un premier enfant, en ébaucher un deuxième. Lâcher son épouse en cours de grossesse , pour une actrice sans conventions apparentes.
Rester ami avec son ex : ne pas la plaquer tout à fait. On est des gens civilisés, non ?
S’inquiéter, alors, de sa mariée régulière. Civilisée, elle attendra son Ulysse, et l’exorcisme du démon de midi. Manger le noir désir avec sa comédienne, lui écrire des poèmes, vivre comme Ulysse sur l’île de la magique Circée, boire avec elle le café enchanté.
Et lui flanquer une raclée. A Circée. La voir s’enfoncer dans le coma. S’imaginer qu’elle ne fait que dormir : on ne meurt pas dans les spots de pub. Comprendre trop tard que ce n’était pas de la pub. Moisir pour de vrai derrière les barreaux de Lituanie. Fini le V.I.P, le Carte Noire, la caféïne. Se décomposer sept ans. Sortir de prison. Retourner chez sa femme.
Pénélope aime toujours Ulysse. Bertrand aime-t-il encore sa régulière ?
Perdre ses amis de trente ans.
Et voir s’étioler le noir désir.
Comment gâcher sa vie en moins de huit minutes ?
D’abord la réussir. Naître femme en Hongrie. Etre jolie. Avoir l’oreille musicale et parler plusieurs langues. Diriger un institut culturel. Collaborer à France Culture. Organiser des concerts sur les quais de Seine. Traduire des poèmes. Cultiver un romantisme frelaté comme une pub pour le café. Chercher le prince charmant. Le trouver. Il est grand, il est beau, nous aurons deux enfants.
Se retrouver enceinte et cocue en même temps.
Se vouloir plus belle, plus riche et plus maline que ça. Pardonner parce qu’on est au-dessus de ça.
Attendre que ça passe, comme Pénélope, telle une Adrienne de Noailles espérant son queutard Lafayette.
Cacher un voile invisible sous son air de femme libre, planquer une burqa sous sa mini-jupe. S’émouvoir de son cœur pur. Rester fidèle comme une femme doit l’être. Se proclamer le messie d’un mari qui s’égare. « J’essaie de le maintenir en vie. Je lui dis que ses enfants ont besoin de lui et qu’il a besoin de ses enfants. J’essaie de lui expliquer que ce qui s’est passé le 27 juillet 2003 ne peut pas altérer tout ce qu’il a fait avant. C’est Bertrand qui m’a appris à être forte. »
L’accompagner dans sa vie carcérale. En prison, on ne trompe pas sa femme. Se rapprocher, alors, grâce à la séquestration. Se réjouir de sa libération. Le voir revenir à la maison. Recommencer comme avant. Carte Noire, un café nommé désir, Try to remember when life was so tender. Elle se souvient, mais lui a-t-il oublié ? Est-il libéré d’elle ? Enfermé dans l’autre?
Voir ses espoirs consumés. Alors mourir, de préférence en sa présence, si possible sous ses yeux.
Comment perdre la vie en moins de huit heures.
D’abord la réussir. Naître de la cuisse de Jupiter et du ventre de Vénus. Survivre à une petite sœur. Etre jolie. Connaître Chabrol. Tourner avec Nadine Trintignant. Aimer son père. Fabriquer quatre garçons avec quatre hommes similaires. S’amouracher d’un cinquième, chanteur au cou de taureau. Le ravir à sa femme au foyer, Pénélope Adrienne de Noailles. Jouer les Circée à Vilnius. Et aussi les Colette. Faire venir son amant volé. Boire avec lui le café de Vilnius. Et le rendre jaloux. Le tourner en bourrique entre deux tasses de café noir désir. Se croire invincible. Peser cinquante kilos, en prendre le double dans la face. Tomber. Avoir l ‘air de dormir. Flirter avec la mort cérébrale. Et ne pas entendre son père, quand il vous remercie d’avoir existé.
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Didier says
Bravo, Bessora! J’aime beaucoup.
Le vrai et seul Bruno says
Ecrire un article pareil, vous méritez vraiment une bonne correction !
JNVSTP
François Prunier says
Un article très bien écrit sur un sujet particulièrement difficile.
L’horrible sort subi par Marie Trintignant. L’angoisse puis la terreur qu’elle a dû ressentir. L’image dévalorisée d’elle-même, aussi. C’est indicible.
La détresse des parents.
Quant à Cantat… Difficile d’être touché par sa détresse _réelle_ étant donné le mal qu’il a fait. Le fait que ce soit un grand artiste, comme en témoigne l’album « Veuillez rendre l’âme », nous prouve une fois de plus qu’on peut être sensible, intelligent, doué, et être aussi un monstre.
François Prunier says
J’admire l’artiste Bertrand Cantat, mais j’ai l’homme en horreur.
Bessora Bessora says
Moi pas. Mais c’est vrai, c’est facile, il ne m’a rien fait.
Fred says
Joli tryptique biographique. Désinvolte et l’air de rien :o)